Dans sa nouvelle chronique, l’UDC Yohan Ziehli s’intéresse aux liens étonnants entre les socialistes suisses et un parti kosovar aux valeurs… légèrement divergentes.
L’information a brièvement agité les médias alémaniques sans toutefois passer la Sarine : le premier ministre kosovar Albin Kurti devrait participer à un événement de campagne des socialistes suisses. Cet acte concrétisera l’alliance électorale entre le PS et le mouvement « autodétermination », qualifié de « parti frère » par la formation à la rose. Une telle association soulève plusieurs questions.
Tout d’abord, je préciserai que mon intention n’est pas de m’ingérer dans la politique d’un pays étranger et de donner les bons ou les mauvais points à des mouvements dont l’histoire, le contexte et le cadre légal me sont, par définition, étrangers. En revanche, en tant que citoyen suisse, il est naturel que je me questionne sur une alliance à visée électoraliste inédite dans mon pays. Cela d’autant plus lorsqu’elle implique un parti se voyant comme le chevalier blanc de la lutte pour la moralité et l’exemplarité sur le plan international, réclamant au parlement fédéral moult règlementations visant à limiter les contacts avec des gouvernements vus comme « autoritaires ».
Un gouvernement qui prend ses aises avec la liberté de presse
Tout d’abord, un élément de calendrier nous interpelle : l’annonce de l’intervention d’Albin Kurti dans la campagne suisse intervient alors que le principal intéressé est en conflit ouvert avec l’association des journalistes du Kosovo depuis qu’il a pris la décision d’interdire la principale télévision privée du pays. Cette décision est dénoncée par les milieux médiatiques et les acteurs de la société civile, qui ont manifesté à Pristina fin juillet sous le slogan « la démocratie meurt dans l’obscurité ».
Il ne s’agit pas du premier bras de fer entre le premier ministre et la presse : en janvier, la fédération européenne des journalistes dénonçait publiquement la nomination d’un militant du parti « autodétermination » au poste de directeur de la télévision publique du Kosovo. Alors que la campagne sur le financement de la SSR se profile, la passivité du PS sur ce point devrait interpeller.
Le nationalisme ethnique comme identité politique
La deuxième question soulevée est bien entendu celle du positionnement ouvertement nationaliste du parti. Dans le manifeste fondateur du mouvement, on peut lire ce qui suit : seule la liberté nous permet de devenir une communauté politique à partir d’une communauté ethnique.
La défense de la liberté et de l’autodétermination, omniprésente dans le programme du parti, ne pose bien évidemment pas de problème (si ce n’est que cette valeur serait rejetée, en Suisse, par le PS). En revanche, fonder cette autodétermination de manière explicite sur des caractéristiques ethniques est révélateur. Le parti semble d’ailleurs militer pour la création d’une grande Albanie et souhaite pour cela modifier la constitution et permettre la fusion des pays concernés.
Tout aussi révélatrice est la tendance autoritaire du mouvement, relevée par Le Monde il y a peu. On notera des accusations d’interférences entre le gouvernement Kurti et la justice, notamment lorsqu’il refuse la nomination d’un magistrat en matière de lutte contre la corruption ou lorsqu’il s’attaque aux membres du pouvoir juridictionnel jugés trop curieux.
Encore une fois, il n’est pas de mon ressort de donner les bons et les mauvais points aux partis et gouvernements étrangers. Je relève toutefois que le PS milite au parlement fédéral pour interdire tout accord ou toute convention avec des pays qui violent les droits fondamentaux de leurs citoyens. Autant dire que le malaise est patent.
Une influence étrangère sur le parlement suisse ?
Finalement, on peut se demander jusqu’où l’ingérence d’un gouvernement étranger en politique suisse est acceptable. Dans une interview pour le Blick, Kurti affirmait que l’accord passé avec le PS ne concerne pas seulement une coopération à visée électorale, mais aussi des thèmes purement politiques tels que l’aide au développement.
Se posent alors inévitablement de nouvelles questions : quelle est la portée d’un tel accord ? Un parti gouvernemental suisse peut-il, d’un point de vue éthique, conclure un accord mêlant l’utilisation d’argent public (aide au développement) avec des intérêts électoralistes ? Et d’un point de vue légal ? Les élus socialistes défendront-ils l’intérêt populaire lors des prochains débats portant sur l’allocation des fonds helvétiques, ou seront-ils influencés par des négociations préalablement menées ?
La presse totalement absente
Toutes ces questions peuvent trouver des réponses différentes. Des éléments de politique locale peuvent être évoqués et des opinions sur les droits et obligations des partis suisses débattus. Mais un tel débat ne peut exister si la presse refuse obstinément d’aborder ce thème.
Alors que la visite d’un conseiller national en Russie avait fait la une des médias – quand bien même l’intéressé n’est pas candidat à sa propre réélection et s’était rendu dans le pays en sa qualité de journaliste –, il semble qu’un accord institutionnalisé entre un parti suisse et un gouvernement pointé du doigt par le Conseil de l’Europe et divers États occidentaux pour ses dérives autoritaires indiffère les rédactions romandes. Finalement, y a-t-il encore un service public dans nos cantons latins ?
Yohan Ziehli
Illustration principale: Albin Kurti, au taquet sur les droits de l’Homme… En 2017. (Arianit/Creative Commons)
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