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Stev’ LeKonsternant prend à coup sûr trop souvent l’apéro. Comme le politiquement correct fondé sur rien lui provoque des réactions épidermiques, il se prête parfois au jeu dans ses rares moments de lucidité en sautant à pieds joints dans le plat. Histoire de provoquer une réaction ou un débat là où les tenants de l’Axe du Bien n’en veulent pas.

Pisa 2022 : la fin d’un modèle ?

Kimberly Farmer/Unsplash
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Les résultats de l’enquête PISA viennent de tomber et à nouveau les élèves suisses s’en sortent plutôt bien en comparaison des autres pays de l’OCDE. Néanmoins, comparaison n’est pas raison. Les systèmes éducatifs comme les populations qui les fréquentent varient grandement d’un pays à l’autre et il n’est tout simplement pas réaliste de s’évaluer en fonction des autres pour juger de la qualité de notre système éducatif. Pour juger de son évolution, il faut comparer les résultats obtenus à ceux des tests antérieurs. Car l’OCDE postule en effet que ses tests sont, dans les grandes lignes, d’une difficulté comparable. Elle fournit même cette année des tableaux qui mettent en évidence les performances des élèves sur le long terme. Vus sous cet angle, les résultats des élèves suisses prennent une tout autre tournure.

[1]

Comme on peut le constater sur ce premier tableau, les résultats de nos élèves n’ont eu de cesse de se déteriorer depuis que la Suisse participe aux tests PISA. Il y eut certes un léger mieux dans la première décennie des années 2000, mais depuis lors, nos performances se sont effondrées. 



Dans chacune des branches, nos élèves ont ainsi perdu entre 10 et 25 points. A ce propos, l’OCDE précise qu’une année scolaire correspond à environ 20 points.[2] Ce qui signifie que nos élèves suisses ont perdu, dans les grandes lignes, entre une demi-année et une année entière d’école obligatoire. Vus ainsi, les résultats de nos élèves font plutôt froid dans le dos.

Ceci dit, à bien y regarder, le système éducatif suisse n’est pas le seul à être dans la tourmente. De manière générale, l’ensemble des pays membres de l’OCDE subissent une baisse similaire. La tendance y est encore plus marquée depuis le test de 2018 et on peut se féliciter que notre système ait fait preuve d’une plutôt bonne résilience à la pandémie du COVID. La décision de réouvrir assez rapidement les écoles fut bonne et on peut regretter que nos autorités les aient fermés durant un temps.  Cette note, que l’on peut tout de même qualifier de positive, ne doit cependant pas masquer l’impératif de prendre le problème à bras le corps pour infléchir les courbes.

Les solutions de l’OCDE

L’OCDE ne se contente pas de fournir les résultats des tests. Elle recueille une multitude de données et fournit tout un corpus d’analyses au sein desquelles on peut trouver de très précieuses indications. Cette année par exemple, l’OCDE semble avoir mis l’accent sur les effets du numérique à l’école et durant les cours de mathématiques tout particulièrement. Il en ressort que l’utilisation d’appareils numériques pour étudier est correlée avec de meilleurs résultats, une affirmation qui ne peut cependant être dissociée du fait que 65% des élèves ont déclaré être régulièrement déconcentrés par l’utilisation (ou celle des autres élèves) de ces outils qui, outre l’étude, permettent de jouer et de surfer sur internet notamment. Cette déconcentration est associée par l’OCDE à une perte de 19 points en mathématiques, soit une diminution supérieure à l’effet positif mesuré.

Plus globalement, l’OCDE s’inquiète d’une réelle dépendance des élèves à leur smartphone (45% d’entre eux ayant admis se sentir nerveux ou anxieux si ce dernier n’est pas à proximité) et pointe du doigt l’effet cataclysmique induit par ces mêmes outils numériques quand ils sont utilisés pour le loisir. Le test PISA démontre en effet une différence moyenne de 49 points (!!!) entre les élèves qui passent moins d’une heure à jouer avec des outils numériques et ceux qui les utilisent entre cinq et sept heure dans la journée ![3]

Si le numérique est potentiellement bénéfique (en termes d’apprentissage, donc, et pas de santé), il est impératif d’en évacuer toutes les potentialités distractives au cas où nos décideurs voudraient emprunter cette voie. Les écoles pourraient ainsi être équipées d’ordinateurs et de tablettes dénuées de toute application ou potentialité non scolaire et ne permettant qu’un accès très limité à l’internet. Peut-être serait-il même judicieux de mettre sur pied un ersatz de toile spécialement conçu à cet effet.

Outre le numérique, l’OCDE préconise d’éviter au maximum les redoublements. Elle ne dit cependant pas que ce dernier ne sert à rien, mais plutôt qu’il est plus favorable de fournir des aides supplémentaires aux élèves qui sont en grande difficulté. Dit autrement, si l’on veut éviter de faire redoubler les élèves, il faut mettre à leur disposition des études et autres appuis et ressources en suffisance en dehors des temps de cours. Dans de telles conditions, l’élève en difficulté qui désire réellement s’en sortir pourra le faire à condition de crocher. On est bien loin de ces discours que l’on entend parfois qui tendent à dire que le redoublement ne sert à rien et qu’il faut laisser passer les élèves à n’importe quel prix ou presque. 

L’OCDE relève également que des enseignants bien formés et du matériel de qualité sont un prérequis indispensable pour réussir. [4]Là où le bât blesse, c’est que l’OCDE ne fournit aucune indication sur ce que signifient « des enseignants bien formés » et du matériel de « qualité ». On peut en effet tout à fait mettre sur pied des formations très poussées d’une efficacité douteuse ou allouer de conséquentes sommes à développer des moyens dernier cri qui ne fonctionnent pas. En consacrant une attention particulière aux différents rapports émis au cours des ans par l’OCDE, on arrive toutefois à dégager certaines tendances à éviter qui devraient permettre de remettre l’école sur les rails de la réussite.

La Finlande, un modèle à la dérive

En procédant un peu à l’inverse de l’OCDE, à savoir en essayant de mettre en évidence les constantes que l’on retrouve dans les pays en chute libre plutôt qu’en cherchant ce qui fonctionne, on peut trouver un début de réponse à ce que signifie avoir « des enseignants bien formés » et du « matériel de qualité ».

Depuis le début de l’épopée du PISA, la Finlande a toujours été citée comme étant l’exemple à suivre. Pour rappel, la Finlande est le pays où les pédagogies dites de type « socio-constructivistes » ont été appliquées le plus en profondeur. Par « socio-constructiviste », il faut ici comprendre non pas la théorie de l’apprentissage développée par Lev Vigotsky en son temps, mais un ensemble de préceptes selon lesquels peuvent être formatés les enseignants et les moyens d’enseignement pour faire la classe. Dans les grandes lignes, on peut dire que le « socio-constructivisme » s’articule autour de trois postulats. Le premier consiste à dire que les élèves apprennent mieux en découvrant par eux-même plutôt qu’au contact d’un enseignant qui leur transmet directement la matière et le second qu’il est plus profitable de mettre les élèves dans des situations complexes plutôt que d’adopter une progressivité allant du simple vers la complexité. Quand au troisième, il prétend que les élèves apprennent mieux lorsqu’ils collaborent et que donc il est plus favorable de les mettre au travail en groupe qu’individuellement.

Comme le modèle finlandais a le vent en poupe depuis de nombreuses années, pléthores ont été les décideurs politiques ayant fait le choix d’implémenter les recettes du « socio-constructivisme » au sein des systèmes qu’ils ont en charge. Le hic, car il y en a un et de taille, c’est que jamais encore, ils ne semblent s’être intéressés à la dynamique poursuivie par le système finlandais. A son propos, les données du site de l’OCDE donnent ceci : 

[5]

Comme on peut le constater, la chute du système finlandais est encore plus marqué que celle du système suisse et même que celle de la plupart des pays membres de l’OCDE. Ce n’est pas 10 à 20 points que les petits Finlandais ont perdu dans les vingt dernières années mais bien 50 à 60 !!! Ce qui laisse à penser que si la Finlande est partie de si haut, ce n’est certainement pas pour son modèle pédagogique, mais bien plutôt pour l’homogénéité linguistique de ses élèves ainsi que la simplicité d’acquisition de cette langue. Dans de telles conditions, il est bien plus facile de dégager du temps supplémentaire pour les autres branches.

Partant de là, et comme la Finlande n’a eu de cesse de s’écrouler au fur et à mesure qu’elle implémentait des nouveautés « constructivistes », il parait raisonnable de postuler que ces méthodes pédagogiques ont leur part de responsabilité dans cet effondrement. On en est encore qu’au stade de l’hypothèse, mais il se trouve que les diverses analyses développées autour du test PISA par l’OCDE au fil des ans tendent à corroborer cette interprétation. En 2015 par exemple, les analystes du PISA se sont penchés sur la manière de faire la classe dans les cours de science. Ils ont ainsi pu développer le graphique suivant :

[6]

Comme on peut le constater, et contrairement à ce qui a pu être affirmé depuis de nombreuses années, les statisticiens de l’OCDE ont depuis longtemps déjà tordu le cou à l’idée que mettre l’élève en situation de découverte est plus profitable que la transmission. Ce constat est d’ailleurs corroboré par des chercheurs en sciences de l’éducation comme Steve Bissonnette ou Clermont Gauthier qui se réclament du courant dit « des données probantes ». Il faut comprendre par là que ces chercheurs prennent un soin méticuleux à mettre sur pied des dispositifs permettant de tester les hypothèses et de quantifier les résultats des élèves. Etudes chiffrées à l’appui, ils alertent depuis longtemps déjà sur l’inanité des pratiques « socio-constructivistes ». Pour ne donner qu’un exemple, le projet « Follow Through » qui a été mené sur plus de 350’000 élèves durant une dizaine d’années à la fin du vingtième siècle aux Etats Unis démontrait déjà leur inefficacité et la nette supériorité des pédagogies « directes » et « explicites »[7].

Ultime clou dans le cercueil « socio-constructiviste », l’un des rapport accompagnant le dernier test PISA s’est intéressé à l’influence des compétences sociales et émotionnelles. Il démontre que la coopération n’est pas profitable en terme de résultat et qu’il est bien plus rentable de travailler à maintenir la curiosité, la persévérance et à contrôler ses émotions pour réussir !

[8]

Conclusion

Bien loin d’être un désastre, le test PISA 2022 est riche d’enseignements. Il doit au contraire être vu comme une formidable opportunité offerte de remettre l’école helvétique sur les rails de la réussite. En creusant plus en profondeur dans ces données et en prêtant attention aux chercheurs qui testent réellement leurs hypothèses, nos décideurs pourraient faire de notre école un modèle en son genre. Ne reste désormais qu’à espérer qu’ils saisissent la balle au bond…


[1] Switzerland | Factsheets | OECD PISA 2022 results

[2] COVER FINAL.indd (oecd.org) p.58

[3] COVER FINAL.indd (oecd.org) p.33-34

[4] Summary | PISA 2022 results (oecd.org)

[5] Finland | Factsheets | OECD PISA 2022 results

[6] Publication de l’OCDE « Résultats du PISA 2015, politiques et pratiques pour des établissements performants », Volume 2, p.80

[7] La pédagogie explicite peut-être vue comme une synthèse entre les méthodes traditionelles de faire l’école et les découvertes réalisées dans le domaine des sciences cognitives.

[8] COVER FINAL.indd (oecd.org) p.60

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