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Stev’ LeKonsternant prend à coup sûr trop souvent l’apéro. Comme le politiquement correct fondé sur rien lui provoque des réactions épidermiques, il se prête parfois au jeu dans ses rares moments de lucidité en sautant à pieds joints dans le plat. Histoire de provoquer une réaction ou un débat là où les tenants de l’Axe du Bien n’en veulent pas.

Homme et femme, elle les créa…

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Dieu est-il une femme ? La question passionne certains milieux militants, mais rencontre beaucoup d’incompréhension chez les autres. Normal, nous dit notre chroniqueur avec son regard évolutionniste, qui précise que les passionnés de théologie progressiste n’ont pas à s’enflammer: malgré son titre, ce billet ne traite pas de « Dieu.e », ni de son genre éventuel. Non, il va plutôt s’intéresser à une forme radicalement nouvelle de créationnisme qui ne dit pas encore son nom. 

Par « créationnisme », il faut entendre les différents courants de pensée qui s’appuient sur une vérité révélée dans un livre sacré pour affirmer qu’une intelligence supérieure a guidé la création et le développement des êtres humains. Ces créationnistes se divisent eux-mêmes en deux catégories : des créationnistes « littéraux », ou « jeune terre » qui nient toute la théorie de l’évolution et des créationnistes plus consensuels, qui ne voient aucune contradiction entre le phénomène évolutif et l’idée que Dieu soit à l’origine de tout. Le sens de ce texte, cependant, ne consiste pas à opposer ces deux familles de pensée, pas plus que les athées et les croyants. Cette analyse se focalise au contraire sur l’émergence d’une forme absolument inédite de « créationnisme littéral » qui avance encore masquée.

Le cadre étant fixé, revenons-en au titre. Le « elle », car il s’agit bien là du nœud central de la problématique, fait référence à l’évolution humaine. La science nous apprend en effet que, durant des millions d’années, les ancêtres de notre humanité ont, comme les autres espèces, évolué au gré de leur environnement et du hasard. Traditionnellement, le concept de « sélection naturelle » est avancé pour qualifier ce mécanisme où les mutations qui rendent les individus plus aptes à se reproduire et à survivre leur confèrent un avantage suffisamment significatif sur les autres membres de l’espèce pour les supplanter. 

Du temps où la science s’appuyait sur le réel…

Le dimorphisme sexuel entre les hommes et les femmes étant une réalité incontestable, les évolutionnistes ont postulé l’idée que la sélection naturelle avait agi différemment chez les uns et chez les autres. Pensez donc : au temps des cavernes, marqué par un inconfort et une insécurité permanente, les traits permettant d’assurer une meilleure survie n’étaient pas les mêmes chez les hommes que chez les femmes qui devaient porter leur progéniture durant neuf mois. En toute logique, ils ont notamment développé des critères de choix de partenaires reproductifs différents afin de maximiser leurs chances reproductives et de survie. Dans l’optique reproductive masculine en effet, la multiplication des partenaires était la meilleure option pour s’assurer une descendance viable. En agissant de la sorte, ils démultipliaient leurs chances de se perpétuer. Corollaire de ce constat, les mécanismes évolutifs ont sélectionné les hommes ayant les caractéristiques les plus propres à s’assurer le plus grand succès possible au sein du sexe opposé.

Si cette évolution masculine est plutôt simple à saisir, pour les femmes, la question est d’un ordre plus complexe. Eu égard aux conditions de faiblesse propre à leur gestation et considérant qu’une fois l’enfant né, elles « s’encombraient » de surcroit d’un petit être complètement dépendant, s’envoyer en l’air avec un maximum de mâles n’était pas la meilleure stratégie pour s’assurer les meilleures chances de survie. Elles se sont donc plutôt rabattues sur le choix d’un partenaire unique à même à leur assurer sécurité et soins durant ces périodes de turbulences. Sur cette base, l’évolution a fait son œuvre et les caractéristiques les plus propres à leur fournir un tel mâle ont été sélectionnées, à savoir la force, la puissance et la brutalité pour le volet « sécurité ».

Les femmes l’ont bien voulu

Bien que dominante, la théorie de sélection naturelle est aujourd’hui contestée par des chercheurs pour qui tout cela n’est que question de hasard (ou de volonté divine) et n’a rien à voir avec une quelconque pression sélective orientant l’évolution. Une question fort intéressante, assurément, mais qui n’est pas fondamentale pour la problématique ici traitée : l’important, pour nous, consiste à nous accorder sur l’idée que les sciences évolutives ont posé le constat du développement certain d’un dimorphisme au sein de l’espèce. Dimorphisme qui a lui-même engendré une multitude de différences comportementales dans de multiples domaines plus indirectement liés à l’aspect reproductif. Pour ne prendre qu’un exemple, on peut considérer que la relative diminution des capacités de mobilité induite par la gestation et la mise au monde a différencié l’environnement dans lequel les femmes et leurs congénères masculins évoluaient ainsi que leurs tâches respectives et leurs capacités.

Femmes et hommes ont donc évolué de manière sensiblement différente les uns des autres. Il en résulte que leurs relations elles-mêmes ont été bouleversées : à chaque nouvelle adaptation répondait une autre adaptation visant à en contrebalancer les effets, un peu à la manière d’un joueur d’échec qui répond au coup porté par son partenaire/adversaire. Les relations entre les hommes et les femmes ont donc non seulement évolué au gré de l’environnement et du hasard (ou de Dieu), mais également en fonction les uns des autres, ce qui permet à Peggy Sastre d’affirmer que « si les hommes ont le pouvoir, c’est parce que les femmes l’ont bien voulu, tout au long des 99,98% de l’histoire de notre espèce », car « durant ces millions d’années, elles ont frétillé au moindre indice de force, de puissance et de brutalité »  et que « le mâle violent et dominateur est le produit évolutif d’une sélection sexuelle où les femelles sont actives, et non passives1 ».

En un mot comme en cent, au regard des découvertes effectuées par les scientifiques de l’évolution, force est de reconnaitre que cette dernière a façonné les hommes et les femmes à penser et agir en interaction de manière distincte. Ce constat, étayé par de nombreuses preuves, ne va pourtant aujourd’hui plus vraiment de soi. Il est attaqué frontalement par un obscurantisme inédit qui ne dit pas son nom.

Depuis 1990 et la parution du livre « Troubles dans le genre. Le féminisme et la subversion de l’identité » de la philosophe américaine Judith Butler tout particulièrement, on assiste à l’émergence de plus en plus visible d’un mouvement radicalement hostile à ces acquis des sciences évolutives. A cette vision différentialiste et dialoguante/confrontante de l’évolution des hommes et des femmes qui, il faut le souligner, intègre parfaitement l’idée que notre société s’adapte à des revendications nouvelles, Butler a substitué une vision idéologisée basée sur une relation de type dominant-dominé où les hommes sont rendus responsables de tous les maux. Butler passe comme chat sur braise sur le fait, pourtant incontestable, que les femmes ont « consenti » à cet état de fait durant l’immense majorité de l’histoire de l’humanité et entraine dans son sillage bon nombre d’universitaires issus des sciences sociales, qui ont aujourd’hui essaimé dans les rédactions journalistiques. Le résultat se trouve sous nos yeux : la perspective évolutive se retrouve aujourd’hui radicalement niée par cette école de pensée qui tire sa substance d’un livre et non de faits.

Vu sous cet angle, hormis la qualité humaine et non divine de l’intelligence à l’origine du livre en question, l’appartenance de ce mouvement à un courant de pensée néo-créationniste littéral et négationniste du phénomène évolutif apparait de manière criante. On se demande dès lors ce qui justifie son omnipotence à tous les échelons de la société, que cela soit au niveau éducatif ou médiatique notamment. Si notre société a décidé d’évincer les créationnistes littéraux religieux de la sphère publique, il est difficile de concevoir qu’elle n’en fasse pas de même avec cette nouvelle mouvance qui ne s’en distingue pas de manière structurelle et encore moins dans ses (in)capacités à fabriquer du vivre ensemble. A moins bien entendu que nous soyons entrés dans une nouvelle période obscurantiste fortement idéologisée, marquée par un rejet de plus en plus brutal des réalités objectives…


  1. Peggy Sastre « La domination masculine n’existe pas », Editions Anne Carrière, 2015, France, 4ème de couverture ↩︎

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