Toute personne qui s’engage pour la société, que ce soit par le biais de la politique, des associations locales, de la milice ou par tout autre moyen, est parfois confrontée à une question aussi évidente que récurrente : « à quoi bon » ? Les périodes de conviction lors desquelles une énergie débordante nous pousse en avant font place à des périodes de réflexion, durant lesquelles l’on se pose toutes sortes de questions.
L’engagement politique pratiqué dans un esprit de milice n’est pas exempt de questionnements de la sorte. S’il est parfois tout à fait aisé d’y répondre au moyen d’exemples pratiques – tel sujet de votation ou telle implication directe des choix d’actualité sur nos vies – je souhaite aujourd’hui apporter une autre piste : et si notre engagement milicien visait parfois à préserver une certaine logique, une certaine cohérence dans le monde des idées ?
Quand le progrès se mue en fuite en avant
De la cohérence, nous en avons bien besoin, en politique comme partout. Que l’on soit de gauche, de droite ou d’ailleurs. Car c’est là toute la différence entre le progrès et la chute : le premier est ordonné et constructif, la seconde est arbitraire et destructrice.
L’actualité de nos voisins français nous aura permis de nous rendre compte de cette différence tenue. Ainsi, le conseiller national vert Nicolas Walder (GE), interrogé il y a peu par le Blick sur la nomination d’une personne ouvertement homosexuelle comme Premier ministre en France, répondait qu’il aurait « préféré un Premier ministre gay et militant ». Comprenez : l’accession d’une personne ouvertement homosexuelle n’est pas satisfaisante si elle se passe sans accrocs. Encore faudrait-il que l’intéressé ne respecte pas les « codes de la masculinité », le conseiller national citant en exemple le ministre transgenre et non-binaire de Taïwan Audrey Tang.
Une homophobie de la part des donneurs de leçons
Il s’agit ici de se questionner : réduire une personne et sa carrière au seul critère de son orientation sexuelle ou de son « expression de genre », n’est-ce pas précisément faire preuve d’homophobie ? Ne faudrait-il pas plutôt considérer que le meilleur moyen de mettre en avant une classe ou une minorité – si tant est qu’il faille le faire – est la profusion d’exemples de réussite impliquant des représentants dudit groupe de personnes ? Cela d’autant plus s’ils peuvent arriver à leurs fins sur la seule base de leurs compétences, plutôt que par une quelconque règle de quota ou de soi-disant avancée sociale ?
Les questionnements de Nicolas Walder exemplifient à merveille cette fuite en avant, désordonnée, menée par une gauche qui viole allégrement les principes qu’elle croyait avoir imposés partout ailleurs. Qu’une personne homosexuelle réussisse par elle-même n’est pas satisfaisant aux yeux des inquisiteurs modernes – cette personne aurait dû réussir au nom de son homosexualité, pas de ses compétences. Le monde à l’envers !
Jusqu’où ira-t-on ?
L’élu genevois ne s’arrête pas là, expliquant que le respect de ces codes de masculinité explique aussi, tenez-vous bien… le succès de la conseillère fédérale Karin Keller-Sutter. Pour Walder, la libérale-radicale cède aux attentes de la société, au contraire d’Elisabeth Baume-Schneider « qui n’hésite pas à construire son image sur une identité de femme ». Questionné sur les critères qui le poussent à arriver à cette conclusion, il répond calmement : les caractéristiques masculines de Keller-Sutter sont « son attitude un peu froide, presque militaire, additionnée à un code vestimentaire très sobre, classique ». L’intéressée appréciera.
Voilà. Pour le prophète du féminisme, une femme qui parvient à se hisser sur les plus hautes marches du pouvoir helvétique ne peut pas être considérée comme réellement femme si elle s’habille sobrement et ne joue pas de l’excentricité la plus totale. De là à considérer les propos de Nicolas Walder comme purement homophobes et misogynes, il n’y a qu’un pas.
Et ce pas, je le franchis volontiers à titre personnel. S’il me fallait cette semaine une raison de me lever le matin pour m’engager en politique, outre tous les combats concrets et pratiques que me réserve l’actualité de notre pays, c’est aussi celle de ramener un peu de cohérence dans l’appréciation profonde des débats d’actualité. Et de relever les propos absurdes de certains élus fédéraux, pourtant traités avec bienveillance par la presse de boulevard.
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