« L’UDC dépensera le plus dans la campagne ». C’est le jugement définitif et indiscutable qui traversait toute la presse en cette période estivale. Partagée, commentée, discutée, l’information occupa une bonne place dans la presse durant plusieurs jours. Qu’en est-il vraiment ?
Grâce à la transparence, nous savons ainsi que le budget de l’UDC Suisse pour les élections fédérales est de 4,5 millions de francs, soit « deux à quatre fois plus que les autres partis » selon la RTS. Pourquoi s’encombrer d’analyses ? Une telle conclusion, si conforme aux attentes, ne mérite visiblement aucune pondération.
Un certain journaliste du service public ne s’y trompait pas, en partageant cette « information » sur Twitter accompagnée de trois mots aussi anodins que rempli de sous-entendus, sentiment amplifié par trois accusateurs points de suspension : « voilà, voilà, voilà… ».
Prendre en compte le niveau cantonal
Tout d’abord, il faut relever une nuance qui a échappé à l’attention des fins influenceurs médiatiques : ce budget est fédéral. Il ne prend pas en compte les dépenses des partis cantonaux. La RTS éludait cette objection d’un revers de bras « ce qui est certain, c’est que le premier parti de Suisse a largement plus de moyens que ses rivaux ».
Il est impossible de tirer des conclusions définitives. Toutefois, on notera que le budget investi par les partis, si l’on prend en compte le niveau fédéral et cantonal, est plus égalitaire : 7,9 millions pour l’UDC, 7,2 millions pour le PLR, 6,8 millions pour le PS, dont les sections cantonales dépenseront plus de 5 millions.
Qu’en est-il du fonctionnement des partis ?
Un élément qui ne s’est pas retrouvé dans les analyses médiatiques est le coût de fonctionnement des structures partisanes. Les médias généralement prolixes lorsqu’il s’agit de ragots financiers n’ont pas montré d’intérêt pour cette facette. Oh, nous en saurons plus lors de la publication des comptes annuels des partis. Toujours est-il que ces chiffres ne sont pas négligeables et exercent une influence directe sur la campagne – cela d’autant plus que les comptes de quatre années pourraient être additionnés, si l’on voulait tirer un bilan de législature.
L’UDC, par exemple, s’appuie sur une équipe d’une douzaine de personnes dans son secrétariat. Sur le site internet du PS, on n’en dénombre pas moins de cinquante-huit. Sans connaître les salaires, les taux d’activité et les éventuelles externalisations, par exemple, nous reconnaissons là-aussi l’impossibilité de prononcer une sentence certaine et définitive.
Nous devons en revanche considérer avec certitude l’importance de cette deuxième partie du financement, dans laquelle un parti peut aisément dissimuler une partie non-négligeable de ses frais de campagne (personnel de secrétariat rédigeant le programme et les documents stratégiques, soutien aux candidats, événements du parti visant la mobilisation…).
Les associations politiques ne sont pas prise en compte
Est-on arrivé au bout ? Non, bien sûr. Ce serait vite oublier l’impact des associations engagée de près ou de loin en politique. Souvent décriées pour leur lobbyisme, les associations patronales traditionnellement favorables au camp bourgeois ont récemment dû céder la première place de l’influence aux ONG de gauche. En 2019, année d’élections fédérales, ces soutiens des partis roses-verts ont dépensé 39 millions de francs en campagnes politiques.
Il est par ailleurs toujours difficile de considérer exactement ce qui tombe dans la catégorie des dépenses politiques ou pas. Un classement Greenpeace des candidats prétendument respectueux de la nature, qui ne respecte pas la plus élémentaire rigueur scientifique dans le but de favoriser les candidats de certains partis, sans l’ombre d’un doute, en fait partie.
Outre les ONG, on doit aussi dénombrer les satellites des partis. Si l’UDC peut souvent s’appuyer sur Pro Suisse (notamment dans son combat pour la neutralité), le PS compte lui sur une nébuleuse d’associations syndicales ou publiques, plus ou moins largement alimentées par le contribuable. Les dépenses de ces mouvements se chiffrent en millions. A titre d’exemple, l’Union syndicale suisse n’a pas déclaré les 150’000 francs de sa mobilisation sur la place fédérale du mois de septembre, estimant qu’il ne s’agissait pas d’un événement électoral. C’est dire si la mauvaise foi a une place à jouer en matière de transparence.
La transparence rend invisible
Que faire, face à cela ? Publier tous les comptes et budgets des associations proches de la politique ? Nommer une commission en charge de définir ce qu’est une dépense politique ? Rappeler à l’ordre les médias afin qu’ils ne cèdent plus à l’envie du titre aguicheur et trompeur ? Nous sommes rapidement confrontés à une réalité pourtant bien connue : l’excès d’information tue l’information.
L’actualité vaudoise nous en a donné un exemple frappant : fin juillet, le Canton publiait les comptes des partis politiques pour l’année 2022, année d’élections cantonales. Il apparut que, entre masse salariale et frais de campagne, le PS avait dépensé plus de 600’000 francs, contre un peu plus de 200’000 francs pour l’UDC. Information jamais reprise par les médias. Lorsque j’ai mentionné cette incohérence, un élu d’extrême gauche s’en est expliqué : « La publication (de ces chiffres) dans le cadre d’élections fédérales induit le public en erreur ».
Dans le flux excessif d’informations partielles et forcément partiales, le lecteur risque de finir par se perdre et s’en remettre à croire celui qui crie le plus fort. En l’occurrence, le média du service public. Lui peut s’appuyer annuellement sur un budget de plus d’un milliard de francs pour se faire entendre. Voilà, voilà, voilà…
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