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J’interviens ici comme écrivaine et avec ma casquette de co-fondatrice du Réseau laïque romand. Que Le Peuple soit un média catholique ne me gêne pas, je n’ai pas le couteau entre les dents comme certains athées. Le christianisme, le judaïsme ou l’islam sont des expressions culturelles et spirituelles dignes d’intérêt, tant qu’elles ne viennent pas perturber les sociétés en revendiquant pour elles des exceptions à la règle commune. Le Peuple est-il d’extrême-droite comme l’ont dit certains ? Je ne crois pas, sinon je ne serais pas là. Vive la liberté d’expression ! En bonne Suissesse, je dirais aussi vive la quête toujours exigeante du compromis !

Woody Allen, la marque des grands

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Contrairement aux billevesées que j’ai pu lire, le dernier film de Woody Allen n’a rien d’une petite comédie réalisée par un homme vieux et fatigué avec des collaborateurs eux aussi âgés… et quelques bons acteurs très sympathiques parlant français. 

Si certains médias veulent survivre, ils doivent nous offrir autre chose que des clichés témoignant de l’âgisme de quelques journalistes qui se croient jeunes.

Donc le dernier film de Woody Allen, intitulé Coup de chance, tient bien de la comédie, mais il laisse une trace plus profonde en nous au fil des heures, la marque des grands ! Il évoque deux précédents films du cinéastes, Match Point et Crimes et Délits, à première vue sur un registre mineur. Je crois être la seule à avoir cité ces deux œuvres et ce rapprochement place donc Coup de chance parmi les bons films du maestro new-yorkais. Au début, on se pince un peu à l’écoute d’un badinage amoureux qui passe parfois mieux en anglais, quand les feuilles mortes piétinées de concert sont celles de Central Park et non d’une allée parisienne, aussi belle soit-elle. Parlons donc un peu de Paris : cette ville tant aimée de Woody – et c’est réciproque – est montrée ici d’une manière certes romantique mais sans les clichés touristiques. On entre dans des brasseries et des cafés, on se balade dans des parcs, des officines de luxe, on repère un ou deux noms de rue, mais le but n’est jamais de faire des « ah » et des « oh » comme un tourisme qui reconnaîtrait les lieux. Le film s’attache non pas à des endroits précis mais à une atmosphère parisienne, qui inspire aux personnages des sentiments amoureux et donne à l’un d’eux – l’amant – l’envie d’achever l’écriture de son roman et de faire dialoguer la fiction avec la réalité.

Marre des clichés au sujet du cinéaste

Dire que Woody Allen se répète, c’est oublier qu’il est aussi un musicien de jazz et que les variations sur un même thème font le sel de cette musique et de la vie. Qu’est-ce que l’amour ? Une rupture aussi douloureuse soit-elle, est-ce finalement banal, ou de l’ordre de la trahison et du tragique ? Donc non, Allen n’est pas un vieux gâteux qui se répète. À bas ces clichés, et je ne parle même pas de ceux qui prétendent réduire le cinéaste à une affaire intime résolue en sa faveur par la justice. Le film, donc, et c’est un grand film parce qu’il fait son chemin en nous. Une bonne quinzaine de comédiens français s’inscrivent à merveille dans ce récit choral, qui leur offre plusieurs occasions de s’illustrer dans le small talk mondain des riches, rehaussé par une piquante rumeur d’assassinat courant autour du personnage diablement bien incarné par Melvil Poupaud, dont ce n’est pas la première incursion chez les maris pervers narcissiques. Comme on n’est pas dans un film stupide, on peut voir évoluer la femme trophée, dans un rôle qui donne à Lou de Laâge la possibilité de s’exprimer sur différents registres allant de l’aveuglement à la lucidité.

Voir ce qu’on voit et qui ne fait pas plaisir

D’autres que moi ont souligné le plaisir pris par tous les comédiens, certes, mais souvent pour en retirer le mérite au cinéaste lui-même, ce qui n’est bien sûr pas ma position. Woody Allen reste le chef d’orchestre de ce ballet joliment appuyé sur un air de jazz. Est-ce donc la comédie qu’on signale du bout des lèvres ? Comédie, oui, mais ni petite ni superficielle. Souvent on sourit, on admire aussi, même un petit rôle comme celui de la détective privée engagée par le mari ; elle est aussi drôle qu’un personnage du cinéaste finlandais Aki Kaurismaki, c’est-à-dire malgré elle et son air lugubre quand elle déambule tout en faisant son job d’une manière efficace.

J’ai gardé Valérie Lemercier pour la fin, dans un rôle de mère à qui on ne la fait pas. Cette amatrice de chasse n’est pas « un perdreau de l’année », comme elle dit, et ne va pas reculer devant ce qu’elle voit, même si c’est une réalité aux antipodes de ce qu’elle imaginait quand elle songeait au beau mariage de sa fille. Voir ce qu’on voit, même si ça ne nous plaît pas, ce n’est pas si évident, et quand on se met un peu dans la peau de cette mère par ailleurs si enjouée, on commence à se dire que ce film n’est pas aussi léger que prévu. C’est tout l’art de Woody Allen de nous laisser glisser dans une sombre réalité en nous faisant descendre de très haut, puisque le sommet de la pente est peuplé de riches Parisiens sur lesquels plane un ciel serein…

Un film grave sous la comédie

Et puis alors, il y a selon moi un sous-texte très sérieux à ce film. Coup de chance c’est tantôt la chance qui sauve et tantôt la fatalité qui détruit, comme dans la vie elle-même, où personne ne peut tout contrôler. Le personnage du mari possède dans une chambre un superbe circuit de trains électriques qu’il fait voir à sa femme, puis à sa belle-mère, et dont il parle à ses amis. C’est dire que cet élément compte dans le film. On se souvient alors que les nazis voulaient tout contrôler, que le train tenait une place centrale dans leur entreprise de destruction des juifs d’Europe et qu’ils ont pu – tout comme le mari dans cette froide comédie – bénéficier de complicités à l’est du continent. Sacré Woody Allen, qui nous livre un film dense, décidément, qui s’il devait être le dernier ne dépareillerait en rien dans son œuvre et la résumerait peut-être, jusque dans le manuscrit caché par l’amant-écrivain, qui n’est pas sans rappeler les petits écrits enterrés pour témoigner de l’horreur dans les camps de concentration. Et si le cinéaste n’avait lui-même écrit et filmé que pour témoigner de sa chance d’y avoir échappé, comme il le laisse entendre dans une belle interview dans Le Temps?

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