Un orchestre de Jazz Nouvelle-Orléans fera péter vos vitrines.
Chers amis, Chers camarades,
Hier soir, à table, mon fils de sept ans était d’humeur un peu sombre. Mes blagues ne le faisaient pas tellement rire, l’idée d’aller au lit en pleine fournaise ne l’enchantait pas et – devait-il finir par nous avouer – celle de retourner à l’école ce matin encore moins. Moins de jeu, plus de travail, des profs un peu plus stricts… Après avoir renoncé à faire le clown, j’ai dit à mon gamin : « Eh bien j’ai une nouvelle qui va te faire plaisir. À partir de maintenant, ce sera chaque jour un peu pire, et à la fin tu vas mourir. »
Je n’ai pas obtenu les félicitations du jury.
La fragilité est la définition de la vie
Pourtant, il ne s’agissait pas plomber inutilement le petit bonhomme. Je crois que la plupart des malheurs de notre espèce viennent de notre incapacité à accepter que notre séjour sur cette terre soit une tragédie, marquée de bout en bout par l’absurde. La fragilité, pour reprendre une phrase de Chesterton, est la définition de la vie.
Il faut dire que je ne crains pas de mourir. Dans une certaine mesure, un gamin abusé dans son enfance, comme moi, est déjà mort depuis longtemps. Toute ma vie adulte, sans doute, a consisté à redonner du sens à un accident de parcours. Grâce à Dieu, et grâce à ma famille, je crois que j’y parviens assez bien. En tout cas j’aime assez bien mon passage sur cette terre. Je rigole pas mal.
Pour un journaliste, chaque jour est un petit deuil. On rend l’article qu’on a couvé pendant plusieurs heures, parfois on le fait lire à ses proches, et le lendemain on sait qu’il sera oublié. Je me souviens encore de la photo d’un de mes éditos, dans feu Le Matin, piétiné sous la flotte un jour de novembre. C’est le même phénomène, mais à une plus large échelle, qui me frappe lorsque nous finalisons l’édition de mon magazine, comme ces jours. C’est le numéro 25, donc je commence à bien connaître ce sentiment, mais c’est particulièrement fort cette fois.
C’est peut-être parce que j’aime particulièrement cette édition, peut-être parce qu’on sent venir la fin de l’été, ou peut-être tout simplement à cause de la fatigue. En tout cas, sans être d’humeur particulièrement sinistre, ça me conduit à n’écouter que des morceaux funèbres quand j’écris, ces temps.
Grandeur consécutive du jazz New Orleans
Des airs funèbres, oui, mais pas n’importe lesquels ! J’aime cette tradition de la Nouvelle-Orléans, en Louisiane, qui consiste à jouer les airs les plus sinistres possibles, d’où jaillissent soudainement, comme un grand rire, des trompettes qui crient au Ciel. Quand viendra pour moi le moment de rendre l’âme à Dieu, j’aimerais qu’un tel orchestre, avec des gens en cravates, jouent « Just a Closer Walk with Tee » ou « When The Saints go Marching In » le plus fort possible dans la rue, quitte à faire péter les vitrines des commerces. Ce ne sera pas bien grave : sans doute ne restera-t-il plus que des assureurs et des agences immobilières dans les centres-villes.
Faire de son existence, non pas une immense farce, mais un immense éclat de rire.
On passe une existence à débattre de politique, à se demander si oui ou non l’État doit devenir plus obèse qu’il ne l’est déjà, si le libéralisme est une aberration anthropologique ou non… Que restera-t-il à la fin ? Des cafards, des rats et peut-être quelques guêpes. Autant rigoler un peu dans l’intervalle.
Embrassez vos gosses, appelez vos parents, fleurissez les tombes de ceux qui sont déjà partis vers le monde prochain. Gardez en tête qu’à la fin, il ne restera rien de ce qui nous paraît important aujourd’hui.
Playlist funèbre:
Les Adieux Suisses
Mozart – Musique funèbre maçonnique
Tom Waits – Invitation To The Blues
Just a Closer Walk With Thee
Que Dieu nous garde,
Raphaël
Illustration principale: les funérailles du blogueur Ashley Morris (Howie Luvzus/Flickr)
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