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Je suis chrétien et anarchiste de droite, j’ai un Dieu, mais pas de maître. Journaliste, à la tête du magazine Le Peuple, je m’exprime sur cette newsletter à titre personnel, avec ma casquette de philosophe et de passionné de littérature. Vous allez peut-être tomber de votre tabouret, si vous venez ici pour la première fois, mais je respecterai vos désaccords, car j’aime avant tout le débat. J’aime aussi la bonne humeur, la bière, la viande rouge et le squat à la barre fixe, mais sous la parallèle.

On maltraite bien son héritage en enfer

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1500 ans d’identité pour déboucher sur un vague humanitarisme visqueux. Bienvenue à Romainmôtier, admirable site clunisien passé au wokisme.

Chers amis, chers camarades,

Vous savez que je n’aime pas vous assommer avec mes convictions chrétiennes. Je ne les cache pas, parce qu’elles font partie de moi, mais le propos de cette infolettre n’a jamais été de vous convertir alors que j’ai moi-même mes propres soucis. Voyez : ma femme me reproche toute l’année de ne pas savoir éliminer une bouteille de rouge une fois que je l’ai finie, cuisiner sans saccager la cuisine ou éduquer mes gamins sans jurer comme un charretier. Qui serais-je pour vous demander de jeter votre drone, votre boombox, de brûler les escape roomset de piéger les trottinettes électriques ?Faites-moi confiance, donc, si je vous préviens qu’il sera marginalement question de religion aujourd’hui. Le propos n’est pas de me transformer en curé, mais de mettre le doigt sur une manifestation désolante, et terriblement hypocrite, d’épuisement civilisationnel.

Du reste, ce n’est pas hyper confortable de donner des grandes leçons de morale d’un point de vue catho, ces jours. (Source: Sud Ouest)

Permettez d’abord que je pose le contexte : je revoyais vendredi soir mes camarades du gymnase (l’équivalent suisse du lycée), vingt ans après notre séparation. Certains d’entre eux sont abonnés à cette infolettre, ce qui m’a valu quelques remontrances puisqu’il y a parmi mes amis d’enfance une dame qui est devenue coach et qui n’a guère goûté mon attentat sur certains escrocs qui se réclament de sa profession. Il y a aussi des copains qui sont devenus de gauche et d’autres qui se souvenaient, tout simplement, de l’abruti insupportable que j’étais ado. Globalement, on peut dire que c’était un moment émouvant, dans une période remplie d’enjeux nouveaux dans ma vie.

Plus tôt dans la journée, j’avais eu le sentiment qu’il me fallait me préparer à ces retrouvailles en allant marcher seul chez moi, dans les forêts du Jura vaudois. Dans les magazines féminins, on dirait que j’éprouvais le besoin de « faire le point », ou une foutaise du genre. En réalité, j’avais simplement envie de voir des chutes d’eau, des sapins centenaires et de me tenir un instant en marge de la société. « Quand on entre en délibération avec soi-même, il est bon d’avoir l’abîme à ses pieds », écrit Ernst Jünger dans le « Traité du rebelle ou le Recours aux forêts », un de mes livres favoris. Dans le Jura, les abîmes sont encore assez sages, même si j’ai manqué de me viander à quelques reprises, mais vous saisissez l’esprit. Dans la forêt, je voulais croiser des bestioles qui savent encore fermer leur gueule plutôt que « livrer des ressentis », « partager un beau moment » et « rencontrer de belles personnes ».

 Recourir aux forêts, toujours.

Alors j’ai marché, longeant un magnifique cirque rocheux au-dessus du village de Vaulion, songeant à mon enfance dans les environs, à la communauté que nous formons sur cette infolettre et à l’avenir de mon journal Le Peuple. Des sentiments pas toujours hyper joyeux, mais d’une certaine amplitude dira-t-on. La forêt est importante pour moi. Je m’y suis fréquemment réfugié, durant la période du Covid, et j’y trouve souvent davantage de spiritualité qu’auprès de mes semblables, et même que dans les églises. Or il y a justement, dans le village situé après celui autour duquel je randonnais, une abbatiale clunisienne qui a 1500 ans. Je pense que c’est un de mes endroits préférés, et la plus belle église – romane du moins – de Suisse. Au terme de ma marche, je me suis dit qu’il serait une erreur de ne pas m’y rendre, même si c’était pour revoir le site une millième fois.

J’étais averti

J’avais tout de même une certaine appréhension. La dernière fois que je m’y étais rendu, j’avais aperçu à côté des volets vert et blanc de la cure, un étendard gay friendly et un autre, orange, qui appelait à voter pour exiger des multinationales responsables, du nom d’un objet politique alors soumis au vote du peuple.  Alors je fais une première pause pour bien me faire comprendre : on peut soutenir ces deux idées. On peut tout à fait juger que les Églises (celle-ci est protestante en l’occurrence) n’ont pas pour vocation d’entretenir le rejet des personnes attirées par les individus de même sexe. Dans une certaine mesure, je sympathise avec cet état d’esprit, et j’accueille avec une certaine bienveillance les messages d’ouverture, comme l’on dit en novlangue, sur ce genre de sujets.

Ridiculiser un site d’une telle beauté…

De même, j’arrive à comprendre que l’on fasse fi de toute prudence à l’égard de questions liées à la souveraineté nationale – le genre de choses que l’on reproche souvent aux multinationales, soit dit en passant – lorsqu’il s’agit de protéger des peuples opprimés contre des entreprises peu portées sur l’écologie ou les droits de l’homme. Oui, j’arrive à sympathiser avec tout cela. Mais que l’on ne vienne pas me dire qu’il s’agit de l’alpha et de l’oméga de la foi chrétienne, au point que ce soit la première chose que l’on doive découvrir, après de jeunes pasteurs chevelus et sans doute férus de jeux de rôle, dans la cure attenante à un édifice porteur de 1500 ans d’identité ! 

Il y a de la vertu ostentatoire en enfer

Bon, vous voyez, je monte déjà les tours. Imaginez, dès lors, ce que j’ai ressenti en passant devant une ribambelle de drapeaux ukrainiens pour accéder au site, ainsi que devant un T-shirt représentant Poutine grimé en Hitler ! Et là encore, pas que je sois très fermement pro-russe, anti-ukrainien ou que sais-je. Simplement, je ne comprends pas exactement le rapport avec ces lieux, censés surmonter nos divisions, et non en créer de nouvelles dans un pays intrinsèquement neutre, du moins qui devrait l’être en vertu de sa mission dans le monde. Mais voilà, dès ce moment, j’ai commencé à me demander si confesser une foi chrétienne, quelle que soit sa dénomination, consiste encore à annoncer sa croyance en un Sauveur vrai Homme et vrai Dieu, ou plus simplement à prendre position sur chaque connerie du moment en se rangeant du côté des gentils. Est-ce que l’on peut – c’est une simple question – se dire chrétien et préférer la libérale-radicale Karin Keller-Sutter à la Verte Léonore Porchet, par exemple ? Est-ce qu’un chrétien a le droit de regretter les magnifiques publicités Aubade, ou est-il tenu de s’extasier devant les modèles taille plus des annonces d’aujourd’hui ?

C’est au milieu de ces réflexions que devait survenir le coup de grâce. Plutôt que de vous le décrire, je vais simplement vous poser ici la photo d’une annonce située à l’entrée de l’abbatiale. Bien du plaisir.

Et là j’ai serré.

Avant d’écrire ces lignes, j’ai vérifié avec quelques proches : il semblerait que je ne sois pas cinglé et qu’il soit effectivement absurde qu’une paroisse, pour montrer son inclusivité, se sente obligée de préciser qu’elle accueille les visiteurs indépendamment de leur âge ou de leur handicap. Pourquoi ne pas préciser que les roux, les porteurs d’appareils dentaires ou les fans de Ben Harper sont également bienvenus, si l’on entre dans pareils détails ? Durant toute mon enfance, les Églises n’avaient pas besoin de préciser ce genre de choses, et j’incline à penser que c’est toujours le cas. Avez-vous déjà vu un bonhomme de vingt piges ou une dame de 90 ans s’arrêter à l’entrée d’un lieu de prière et se dire qu’ils n’avaient pas l’âge requis pour entrer ? Moi pas. Ce panneau, donc, ne sert à rien si ce n’est à montrer que les chrétiens aujourd’hui n’ont plus guère de programmes pour changer ce monde. Leur projet, essentiellement, consiste à se montrer bienveillants, voter écolo et limiter la consommation de viande. Éventuellement à mieux sensibiliser les messieurs au plaisir prostatique. Moi qui aime les vieux livres et les vieilles pierres, je dois admettre que cela me fait moins frétiller que Gabriel Matzneff devant la plage privée d’un pensionnat de Bangkok.  

Plus loin dans le délire, il y avait cette notion selon laquelle tout le monde est bienvenu indépendamment de ses croyances, de ses valeurs ou de sa spiritualité. Comme ça, bien sûr, ça paraît très gentil et innocent, mais on fait quoi si la personne en question est parfaitement misanthrope et nazie ? On doit aussi l’accueillir dans un tel esprit de respect mutuel ou on peut lui proposer un idéal un peu plus réjouissant ? Idem pour l’orientation sexuelle. Bien sûr, tout le monde voit où ils veulent en venir, mais à ma connaissance, l’attirance pour les petits enfants ou les animaux en est également une, d’orientation sexuelle, et je ne crois pas que l’on puisse la mettre sur le même plan qu’un couple d’égaux mariés ou « partenariés ». Est-ce que l’on doit à ce point tordre une religion qui dit des choses aussi simples que « L’homme quittera son père et sa mère, et s’attachera à sa femme… » ?

J’ignore la proportion de personnes non-binaires sur la fresque.

Je finirai avec la question d’« identité de genre », qui m’a achevé. C’est quoi « l’identité de genre » ? Je vais vous le dire, c’est l’idée que ce que nous sommes, intimement, ne dépend pas de notre sexe. L’idée que les projections de l’esprit sont plus importantes que les réalités biologiques. C’est ce qui fait dire à certains que leur genre leur a été « assigné » à la naissance, comme si cela découlait d’une action plus ou moins malicieuse et non d’un simple constat objectif. C’est la négation de l’incarnation, cette merveilleuse idée de l’incarnation qui, même pour les incroyants, a permis la naissance d’une civilisation admirable dont l’un des miracles fondateurs est la multiplication de verres de rouge à un mariage. Serait-il encore ici utile de rappeler que la Bible, sur laquelle sont censés se baser les administrateurs de ces lieux, affirme un truc aussi rétrograde que « Homme et femme il les créa », sans mention de non-binaires tendance ptérodactyles ?

Il était temps d’entrer dans l’abbatiale et de tomber sur le magazine de l’Église réformée vaudoise, qui proposait un article à la gloire de l’IVG. Et ces mots de Jünger, dans mon esprit : « Quand toutes les institutions deviennent équivoques, voire suspectes, et que dans les églises mêmes on entend prier publiquement, non pour les persécutés, mais pour les persécuteurs, c’est alors que la responsabilité morale passe à l’individu ou, pour mieux dire, à l’individu qui ne s’est pas encore laissé abattre. »

Il y a un grand sentiment païen, dans les forêts, une paisible révolte aussi. C’est une douleur pour l’homme de foi de devoir aller y puiser ce que les paroisses, quelles qu’elles soient, refusent de plus en plus de transmettre pour mieux poursuivre leurs tentatives désastreuses de coller à l’air du temps. Ces tentatives sont étroitement solidaires d’un masochisme culturel épouvantable. Nous sommes la seule civilisation à se présenter en se reniant. Peut-être est-ce ce qui faisait dire à Bernanos, dans Monsieur Ouine, la chose suivante : « La haine qu’on se porte à soi-même est probablement celle entre toutes pour laquelle il n’est pas de pardon. » 

Je termine ce texte alors qu’un article de 24 heures nous indique que les pasteurs qui ne voudront pas célébrer des mariages homosexuels, minoritaires au sein de leur Église, se feront sans doute attaquer à l’avenir pour discrimination. Et je me dis, alors que je suis très loin de beaucoup m’exciter sur les questions liées à l’homosexualité, que la fuite en avant vers l’absurde, vers l’effondrement, a trouvé des alliés inattendus chez ceux qui devaient défendre notre héritage.

Que Dieu nous garde,
Raphaël Pomey

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