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Je suis chrétien et anarchiste de droite, j’ai un Dieu, mais pas de maître. Journaliste, à la tête du magazine Le Peuple, je m’exprime sur cette newsletter à titre personnel, avec ma casquette de philosophe et de passionné de littérature. Vous allez peut-être tomber de votre tabouret, si vous venez ici pour la première fois, mais je respecterai vos désaccords, car j’aime avant tout le débat. J’aime aussi la bonne humeur, la bière, la viande rouge et le squat à la barre fixe, mais sous la parallèle.

On fait des progrès considérables en enfer

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« Pasteure geek », « élu queer » et tampons pour hommes nous emmènent vers un futur gracieux.

Chers amis, chers camarades,

Il est des textes qui, comme celui-ci, me tourmentent bien des nuits avant de s’échapper de mon clavier. C’est la grandeur et la servitude de ma condition de journaliste, que voulez-vous. Pour disséquer l’actualité, il faut bien la suivre et constater souvent, la mort dans l’âme, qu’il devient éprouvant de garder le contact avec le progrès. Je ne me sens pourtant pas si néolithique que ça en mon for intérieur, mais il est vrai que je souffre d’un sérieux handicap : à l’âge où j’ai commencé à crapahuter, les hommes – c’était bien entendu déplorable – n’avaient pas encore leurs règles. Cette injustice de la nature a heureusement pu être rectifiée depuis ces âges sombres, en particulier dans certains lieux de savoir. J’y reviendrai plus tard dans ce billet.

J’ai récemment trouvé sur mes pas, désormais parfaitement bipèdes, le magazine gay Réformés : bon nombre d’abonnés de la première heure de cette infolettre connaissent cette élégante revue distribuée à l’entrée des édifices protestants du beau pays de Vaud, en Suisse. Le mois dernier, ce journal nous a proposé un portrait réjouissant d’une dame (à moins qu’il ne s’agisse d’une adelphe) pasteure néo-féministe dans la riante cité de Cossonay. Passionnée par l’univers des jeux vidéo – plus riche il est vrai que celui des Lettres classiques –, la ministre du culte s’y dévoilait avec un nombre assez stupéfiant de convictions militantes. Gageons que pour elle, prêcher la bonne parole du wokisme dans un univers aussi patriarcal que le nôtre doit faire passer les souffrances de ce bon vieux Job pour du pipi de chatte (inclusivité, toujours). Chose étonnante, alors qu’on aurait pu s’attendre à la voir nourrir sa pensée dans la sinistre Bible, on découvrait avec ravissement que cette « queer islamo-gauchiste » (sic) puise « beaucoup de ses convictions sur Twitter ». Voilà qui est moderne ! Voilà qui est heureux ! Combien aurait-il été désagréable, en effet, d’apprendre que les subventions du canton permettent à nos plus beaux esprits de transmettre un trésor philosophique bimillénaire ? À côté des regrettables évangiles, comment ne pas préférer un réseau social peuplé d’illettré-e-x-s et de grandes causes lointaines ? Comment ne pas préférer un petit Zelda à La Bienheureuse Passion d’Henri Pourrat ? Sûr qu’une telle fraîcheur dans l’Église doit faire apparaître les jeunes dans les assemblées chrétiennes au même rythme que les rails de coke dans les soirées de Pierre Palmade !

Ça a l’air bien.

À ce stade, mû par la quête de vérité qui fait l’honneur de ma profession, il me fallait aller consulter le fameux compte Twitter de ma sœur en Christ. Sans doute serait-il fastidieux d’y énumérer toutes les prises de position qui ont ébranlé ma masculinité toxique. J’ai plaisir à relever, toutefois, cette photo d’un tag qui affirme avec colère : « Le travail y en a marre / On veut tout gratuit ». Lorsque l’on vit de subventions pour aller pomper des indignations sur Internet, sans doute qu’une part stratégique de ce programme libérateur a déjà été accomplie. Et l’on se dit qu’on aurait vraiment tort de croire, avec Jacques Ellul, que « le christianisme devient une bouteille vide que les cultures successives remplissent de n’importe quoi. [1] »

Oui, nous aurions vraiment tort de croire cela, et une deuxième belle nouvelle devait venir nous montrer le beau dynamisme du monde réformé : la candidature d’une « animateurice » non binaire (et par ailleurs engagée à l’extrême-gauche), Andrea Coduri, à l’exécutif de notre ancienne Église d’État. Alors je ne veux certainement pas trop m’avancer, mais la photo publiée par le journal 24 heures me laisse à penser que cette personne, sur le plan biologique du moins, pourrait bien être un homme. Permettez donc que je l’évoque en « il », tout comme je crains de devoir également parler en « il » de l’inénarrable Marius Diserens, candidat queer des VERT.E.S vaudois.es (c’est un peu technique) au Conseil national, l’équivalent suisse de votre Assemblée nationale pour nos amis hexagonaux. De toute manière, je n’ai pas trop le choix avec ces « il ». Au pluriel, c’est toujours le masculin qui prévaut selon la langue française, même si elle n’a sans doute pas encore tranché la question du pluriel de la non-binarité. La faute aux vieux mâles problématiques de l’Académie française, très certainement.

 Marius et Andrea, deux visages du progrès.

Comme vous êtes des lecteurs très subtils, vous vous demandez certainement pour quelles raisons j’effectue un rapprochement entre ces deux messieurs et notre pasteure. La raison est la suivante : à des degrés de responsabilités divers, tous s’engagent pour apporter un peu plus de visibilité à des communautés, réelles ou fantasmées, auxquelles ils pensent appartenir. C’est une chose tout à fait honorable, n’allez pas croire. Depuis des années, elle conduit par exemple la Verte lausannoise Léonore Porchet à porter haut les couleurs des arrivistes – mais forment-ils réellement encore une minorité ? – au Parlement suisse. Sans doute est-ce aussi le ressort secret de l’engagement de tant d’amateurs de la série humoristique Camping en politique française, à l’image de la délicieuse Ersilia Soudais.

Précisons qu’elle portait des baskets.

Mais je vais vous dire : il ne m’appartient nullement de sonder les âmes et les cœurs. Il y a des curés pour ça, ainsi que des psychanalystes pour ceux qui en ont les moyens. Non, ce qui a tendance à me déplaire, si vous permettez que je me livre un peu, c’est que tout ce joli monde semble aujourd’hui vouloir mener son petit combat sectaire avec l’argent de la majorité des gens qui n’en ont rien à carrer. Par exemple, que des militants de la déconstruction la plus radicale souhaitent mettre leurs pathologies en commun et former leur propre Église des adorateurs de donuts ou de talons aiguilles pour mâles, peu me chaut. Je vis un peu plus douloureusement, en revanche, leur capacité à poursuivre leurs délires dans des institutions qui les précèdent depuis des siècles ou des millénaires, pompant sans vergogne le résultat d’une extorsion étatique pour jouer aux rebelles. Ellul, toujours : « L’alliance avec une des puissances du monde conduit inévitablement à l’adhésion à toutes les puissances de la société. » Même chose avec les politiciens non binaires : voterai-je pour eux ? Dieu m’en garde, mais si ielles devaient être élu-e-x-s avec les voix de la population à laquelle j’appartiens, je m’efforcerai de les tenir pour mes représentants légitimes. En attendant évidemment le retour d’un Roi, ou l’anarchie. Plus certainement l’anarchie.

Mais je devais encore vous parler des règles masculines avant de terminer mon billet. Jusqu’à ces derniers mois, leur inexistence constituait en effet une injustice remontant à la plus haute Antiquité. Sonnez hautbois, résonnez musettes (ou l’inverse, ne soyez pas si binaires) : le journal vaudois La Nation vient de nous anonncer l’une des plus belles nouvelles depuis la création du monde et la naissance du sauveur entre le bœuf et l’âne gris : l’installation, dans les toilettes des hommes de l’Université de Lausanne, de distributeurs de tampons !

Je suis passé par ce haut-lieu de la culture occidentale. Quand j’avais la vingtaine, un groupe de gauche radicale y invitait régulièrement des représentants du Hezbollah ou du Hamas. J’essaie d’imaginer la gueule que ceux-ci pousseraient aujourd’hui en découvrant des protections hygiéniques aux toilettes pour hommes.

Peut-être, même sans doute se diraient-ils qu’il n’y a plus grande raison de s’engager dans une lutte armée.

On n’assassine pas un suicidé.

[1] La Subversion du Christianisme, 1984

Que Dieu nous garde,
Raphaël Pomey

P.S. C’est mon père qui m’a relu aujourd’hui. Votre soutien me permettra de lui offrir une casquette de cycliste hollandais et un déguisement de crustacé.

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