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Je suis chrétien et anarchiste de droite, j’ai un Dieu, mais pas de maître. Journaliste, à la tête du magazine Le Peuple, je m’exprime sur cette newsletter à titre personnel, avec ma casquette de philosophe et de passionné de littérature. Vous allez peut-être tomber de votre tabouret, si vous venez ici pour la première fois, mais je respecterai vos désaccords, car j’aime avant tout le débat. J’aime aussi la bonne humeur, la bière, la viande rouge et le squat à la barre fixe, mais sous la parallèle.

Ce que je dois au hip-hop

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Et pourquoi certaines postures conservatrices sont largement à côté de la plaque sur le sujet.

Chers amis, Chers camarades,

J’ai participé ce dimanche à un super tournoi de basket 3 vs 3 à Neuchâtel, au bord du lac. Je ne vais pas vous mentir, j’ai senti le poids des années, et mon poids tout court, face à certains mutants de 25 ans qui me dunkaient sur la tête. Mais c’était chouette et mon équipe n’est pas passé loin de réaliser une jolie surprise en quart.

Si je vous en parle, c’est parce que cet événement m’a rappelé tout ce que je dois à la culture hip-hop. Oui, je sais, j’ai fait le choix d’une liberté radicale qui m’incite à parler parfois dans des milieux qui se méfient de tout ce qui est, de près ou de loin, issu de l’immigration. Cela n’a jamais été mon cas et je le redis d’une façon ou d’une autre à chaque conférence.

J’ai grandi dans un petit village qui avait connu son heure de gloire à la fin du 19e siècle, grâce au passage des trains en partance vers les pays voisins. Ce village, dont je vous ai parlé à propos de Madame Blanc sombrait un peu dans l’oubli depuis que les convois internationaux avaient cessé de s’y arrêter. C’était une commune installée dans une cuvette, dont les habitants avaient de la peine à accepter les gens qui venaient d’ailleurs, même quand il s’agissait du bled voisin. Les gars du bon parti avaient chaque année leurs gueules d’alcooliques sur des affiches, avec des termes comme « créatifs », « efficaces » ou « combatifs » pour vendre leurs talents. Les moments où ils étaient le plus motivés pour se battre, dans l’année, ce devait surtout être pour faire partir le gril.

La révélation du basket

Bref, c’est dans ce contexte que, peu avant l’adolescence, j’ai découvert le basket, auquel je joue encore trente ans plus tard. Ce sport a été le compagnon de ma vie, à peu près autant que ma famille. Combien d’heures, seul sur un terrain, à rêver d’un ailleurs ? Dans mes premiers souvenirs de match, lorsque j’étais marmot, il y a ce 3 vs 3, contre des grands, en Bretagne où un Maghrébin un peu plus âgé m’avait vivement encouragé à continuer à travailler mes moves. Je portais un pull des Los Angeles Lakers, ce qui était cool, mais je me souviens qu’il était rose, ce qui passait moins bien à l’époque. Nous nous en foutions, seule notre technique balle en main importait. La sienne était fluide : une œuvre d’art avait poussé sur le bitume.

Ce terrain m’a éduqué.

Quand j’étais gosse, nous voulions juste jouer, rester libres, et surmonter les divisions – raciales notamment – qui se développaient dans nos pays, parfois avec quelques coups de pouce de la gauche (ai-je besoin d’évoquer ce que Le Pen doit à Mitterrand ?). Le hip-hop avait mis en nous un esprit de compétition, mais aussi d’unité et c’est à cette école, de la rue, que je reviens souvent encore aujourd’hui quand je rejoue avec des plus jeunes. Je ne suis toujours pas le plus sage du terrain : de fait, j’ai tout le temps la gueule ouverte pour vanner les autres joueurs – même de mon équipe – et ce n’est pas rare d’entendre quelque chose comme « ouaiche le daron il aime trop parler ».

Le lendemain de mon mariage, le jour de la naissance de mon premier enfant, la veille de mon départ au monastère du Barroux… Toujours, le basket a été présent, ainsi que la vibe hip-hop qui va avec, dans ma modeste existence. J’en tire les conclusions qui s’imposent : encore aujourd’hui, je ne comprends pas ces conservateurs qui détestent le rap par principe alors que n’importe quel texte d’Akhenaton est plus riche que celui de fils de bourgeois en pantalons trop serrés qui s’égosillent sur du rock en anglais. Chiens de Paille, NTM, la FF ou Hugo TSR, tous ont marqué des moments de ma vie et me rappellent douloureusement à cette réalité : tout le malheur des hommes vient du fait qu’ils sont posés les uns à côté des autres (Ramuz, Besoin de Grandeur) sans savoir réellement communiquer.

Retour à l’ordre naturel

Je vais vous parler de l’endroit le plus sûr de Suisse romande pour votre porte-monnaie, dimanche dernier : c’était au tournoi de Neuchâtel. Et pourtant il y avait des gamins dans tous les sens, du rap à n’en plus finir et une mixité qui donnerait le tournis à n’importe quel obsédé des questions raciales. Eux aussi faisaient partie de ma communauté.

Petite séance de shoots à trois points entre deux matchs, avec la planche.

Un moment, j’ai même vu deux pères de famille de mon âge (on les appelle les darons, dans ce contexte) engueuler deux gosses qui commençaient à s’embrouiller pour une faute non-annoncée. « Eh les jeunes, on arrête de parler. On est là pour jouer au basket », a lâché avec autorité un mec qui avait un accent africain à couper au couteau. Un entraîneur d’ados, sans doute albanais, de ma région, a aussi salué mon épouse avec une courtoisie que je n’avais plus vue depuis mon passage dans un camp de jeunes catholiques-traditionnalistes.

Tout ça pour dire qu’il nous faut un autre conservatisme. J’ai plus à voir avec les mecs contre qui je me suis mesuré dimanche qu’avec bien des gens qui ont le sentiment d’être à la pointe de la contestation du haut d’opinions peu reluisantes. Au moins les personnes qui ont grandi avec la culture hip-hop respectent spontanément une certain logique des choses, tiennent la porte aux dames, rechignent à jurer devant mes enfants (plus que moi, souvent) et savent lâcher un sourire.

Je suis catholique : pour moi, toute vie à la même valeur. Je suis conservateur : pour moi, un peuple a le droit de vivre sans qu’on efface de force ses propres traditions. Ici s’arrête sans doute ma vision politique. Parce que pour le reste, j’ai bien envie de prendre le ballon pour aller jouer en écoutant les derniers artistes francophones qui s’expriment encore en français.

Que Dieu nous garde,
Raphaël

P.S. Les temps sont très durs, l’été, et j’ai besoin de votre aide pour continuer mon travail d’écriture.

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