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Le training est l’ennemi du genre humain

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Cet article est paru en octobre 2022 sur notre ancienne newsletter.

Je vais commencer ce texte en me mettant à table : oui, il m’arrive de porter des habits de sport en ville. Je ne m’en félicite pas mais, quand je reviens du terrain de basket, j’effectue parfois quelques courses rapides dans une tenue que je sais peu élégante. J’ai une bonne excuse : je ne souhaite pas faire exploser mon empreinte carbone en y ajoutant un aller-retour à la maison avant de vivre le moment, toujours enrichissant sur le plan anthropologique, du passage à la station-service. J’ai d’ailleurs remarqué qu’on me regardait moins bizarrement quand j’étais ainsi vêtu que lorsque je me balade avec un veston et un gilet, comme il conviendrait plutôt à un gentilhomme.

Transposons désormais la question au niveau amoureux : qu’est-ce, en effet, qu’un couple en survêtement, une fois les éventuels enfants au lit ? Je vais vous le dire assez crûment, c’est un couple qui ne tutoiera certainement pas Eros ce soir-là, à moins que monsieur n’aille se planquer dans les WC pour s’y livrer à des pratiques qui, selon la croyance populaire, portent atteinte à l’acuité auditive. 

Le jogging Adidas est l’ennemi du genre humain.

Il est des choses que nous ne faisons tout simplement pas

Si je vous parle de ce douloureux sujet aujourd’hui, c’est que mes gamins ont repris l’école, avec le cortège de négociations stylistiques qui vont avec. Il se trouve en effet que les petits camarades de mes fils, selon les dires de ces derniers, viennent dans leur écrasante majorité en classe en survêtement et pratiquent le foot. Deux choses que, dans cette famille, nous ne faisons fort heureusement pas. Comment leur expliquer, dès lors, qu’il convient de sortir avec un pantalon digne de ce nom pour aller apprendre le respect et l’amitié entre les peuples, plus rarement un peu de mathématiques ou de français ? J’incline à penser qu’il n’est guère reluisant d’expliquer à un mioche que ses copains font tout faux et que nous, guidés par l’Esprit, connaîtrions les vérités ultimes de cette curieuse comédie qu’on appelle la vie.

C’est la rentrée les enfants!

C’est pourquoi j’ai réhabilité un vieux concept que j’affectionne : celui de « culture familiale ». Il ne s’agit pas de juger comment vivent les autres mais tout simplement d’affirmer que dans notre vision de l’existence, certaines choses ne se font pas. Dans ma culture familiale, par exemple, on ne mange pas de McDonald’s, pas de tacos et on ne regarde pas d’émissions de télé-crochet qui nous dégoteront toujours un génie à casquette qui aura miraculeusement appris le répertoire de Barbara entre deux tournantes. A chacun sa philosophie : dans la mienne, même celui qui ne voudrait rien transmettre pour ne pas « endoctriner ses gamins » transmettra en réalité déjà son goût de la défaite.

Un signe de défaite

Si vous m’avez suivi jusqu’ici, vous êtes déjà fort nombreux à penser que je suis un vieux con, que je vois le mal partout et qu’il n’y a rien de dramatique à porter un jogging en cours. N’ayez pas peur, c’est que vous êtes de bons citoyens, tolérants et certainement de gauche. Ce que je ne suis assurément pas. Karl Lagerfeld, paix à son âme, avait dit une chose très profonde sur cette question : « Les pantalons de jogging sont un signe de défaite. Vous avez perdu le contrôle de votre vie, donc vous sortez en jogging. » Je ne vous invite pas, en réaction, à porter des costumes ridicules comme feu l’aristocrate teuton. Reste que c’est précisément pour que mes gosses gardent le contrôle de leur vie que leur père se transforme plus souvent que la moyenne en tyran domestique. Dans les cercles conservateurs, il est commun d’affirmer que les enfants « nous diront merci plus tard », avec ce genre d’éducation, mais c’est faux : ils nous détesteront dès l’adolescence, seront tout autant abrutis que la moyenne et nous pardonneront très éventuellement quand nous casserons notre pipe. Et encore, à condition qu’il y ait une maison à récupérer. « Les enfants ressemblent plus à leur époque qu’à leurs parents », écrit un bonhomme dans un des trop nombreux bouquins que j’ai dans ma bibliothèque (Péguy, peut-être ?), et je crois que c’est là la marque d’une civilisation en phase terminale.

Oui.

A propos de livres, est-ce que je vous ai dit que je ne lis jamais un classique en survêtement ? Vous savez, moi qui crois à la vie dans le monde suivant, j’imagine parfois Platon sur son nuage en train de me contempler dans ma tenue Under Armour, le Banquet entre les mains. Le mec doit le vivre tellement mal, surtout quand il pense à tous ses compagnons de bagatelle dans le bouquin. Ou Ronsard : représentez-vous le type qui s’est cassé la tête à écrire des poèmes d’amour longs comme une interview de Léonore Porchet, et qui découvre que les derniers allumés à les lire semblent tout droit sortis d’une salle de lutte de Bucarest. Pas possible. Je vais même pousser les aveux un peu plus loin : je ne cuisine même pas en survêtement, de peur que ça fasse tourner les aliments, au même titre qu’une nouvelle chanson de Yannick Noah à la radio ou la présence, au demeurant fort improbable, de Bilal Hassani dans mon appartement.

Wesh frère t’abuses

Pour en revenir à l’école, j’ai effectué une recherche dans les archives. Or je suis tombé sur un papier de BFM TV, toujours à la pointe de la connerie, qui donnait la parole à des gamins qui voulaient faire grève parce que leur bahut exigeait qu’ils soient un peu moins mal fagotés : « Presque la moitié du lycée est en survêt’ ; on en a tous marre et on veut faire grève ! », s’indignait Charline, 20 ans, en terminale Métiers de la mode. Profil prometteur s’il en est. Et la chaîne d’évoquer une mesure « discriminatoire », évidemment, que dénonçait une responsable d’un groupe de parents d’élèves : « Imposer une ligne comme ça, qui a pour effet de mettre à la porte de l’établissement des élèves, alors qu’en lycée professionnel, le plus gros problème c’est en général l’absentéisme des élèves, ça me paraît tout à fait inapproprié ». Elle proposait aussi le fameux argument de la « disproportion », qui commençait à nous manquer depuis la dernière intifada. Signe du déclin d’un beau pays qui s’appelait autrefois la France, cette dame représente les familles dont les enfants sont scolarisés dans un des innombrables « lycée Charles-de-Gaulle » que compte l’Hexagone. Je ne sais pas si vous saisissez l’ironie : un lieu d’apprentissage qui porte le nom d’un mec qui a fait deux guerres où les gens crevaient la bouche ouverte, mais dont les ouailles menacent aujourd’hui de faire grève parce qu’on leur demande de porter un pantalon !

Vous pensez qu’ils auraient fait grève si on leur avait demandé d’aller au bahut en pantalon?

Je crois que les règles sont nécessaires à la vie en société. Je ne les aime pas, et je n’aime d’ailleurs pas non plus beaucoup la société. Ce qui me tient à cœur, en revanche, c’est d’élever des hommes libres dans un monde qui, sous couvert de tolérance et d’efficacité, voudra les transformer en assistés. Alors non, tu ne parleras pas à tes parents avec un capuchon sur la tête, et non, tu ne sortiras pas de cette maison avec une tenue qui ne nous paraît pas honorable. Suis-je intolérant ? Assurément, parce que la sacro-sainte tolérance désigne, je le rappelle, une chose qui ne doit pas être combattue, mais que l’on n’est pas forcément tenu de célébrer. Il est des vérités plus hautes que la tolérance, mais il n’y a pas beaucoup de scènes plus laides qu’une classe d’école où tous les enfants semblent déjà planquer de la weed dans leurs poches. Nous avons tous nos petites obsessions. Certains, par exemple, font la guerre au gluten ou aux jouets bleus destinés aux garçons. Menez ces combats si le cœur vous en dit, mais veillez surtout à maintenir une culture familiale. La tolérance ne peut pas en constituer l’alpha et l’oméga : c’est un concept mou, qui ne guide vers rien et qui ne vous aidera assurément pas à pécho.

Que Dieu nous garde

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