Pardon pour ce titre provocateur, il se veut le reflet de celui de L’Auditoire, journal des étudiantes et étudiants de l’UNIL : « Laïcité, un outil de répression ? » auquel je réponds dans ce texte, comme cofondatrice du Réseau laïque romand.
Tout d’abord non, la laïcité n’est en rien un outil de répression, contrairement à la religion qui peut l’être parfois, quand elle est mal digérée et s’incruste tel un cancer dans le cerveau (organe qui s’apparente, comme on le sait, à notre système nerveux digestif). Si vous ne me croyez pas, allez faire un petit tour en Iran, par exemple.
Voilà pour le titre. Le « chapô » du texte, maintenant : non, la « protection des valeurs laïques » ne s’oppose pas au « respect des libertés individuelles » puisque, au contraire, la laïcité garantit les libertés, y compris pour les filles mineures appelées à y goûter – le temps de l’école – comme individues aux bras aérés, aux jambes dégagées et à la tête libre pour courir, nager et penser malgré des appartenances parfois rigides à une culture, à une religion, à une communauté. La liberté individuelle est valable pour toutes et tous, ou en excluriez-vous certaines fillettes assignées à une couverture quasiment intégrale de leurs corps, été comme hiver, hormis les mains et le visage naissant pour elles sous le placage d’un voile englobant le haut du front, le cou, les oreilles et parfois même le menton ?
Retirer son hijab pour respecter le temps scolaire
Procédons à l’analyse de ce texte signé par Auyoni Sen-Akmal. D’abord un oubli : vous mentionnez les interdictions du voile intégral en 2010 et de l’abaya à l’école, en 2023, mais oubliez la loi de 2004 sur l’interdiction des signes religieux dans le périmètre scolaire. Depuis lors, les jeunes filles concernées retirent leur hijab en une seconde et le remettent à la sortie ; une opération si simple que l’intégrisme a dû se modérer quasiment durant 20 ans avant de pouvoir revenir en force sur le devant de la scène scolaire avec l’abaya. En force mais avec, en face, un pouvoir laïque capable de se défendre.
La liberté de conscience ne se réduit pas à la liberté de croire
Parce que c’est ça la laïcité : pas l’interdiction de croire, mais la séparation qui invite à pratiquer son culte quel qu’il soit en-dehors du périmètre de l’État. Ceci pour permettre – y compris aux enfants – de se consacrer en toute liberté à tout l’éventail des matières enseignées, et pour laisser entrouverte la liberté de ne pas croire. C’est même la première phrase du premier article de la loi de 1905 : « La République assure la liberté de conscience. » et le législateur a placé ici un point pour bien marquer l’importance de cette phrase qui garantit à toutes et tous la liberté de conscience, y compris quand cette conscience est agnostique, athée, ou en recherche d’un autre ancrage pour sa croyance. Mais c’est vrai que vous ne citez pas la loi de 1905, comme si cette date, certes lointaine, vous était inconnue.
La laïcité n’est pas l’open bar des religions
Dès lors, contrairement à ce que vous écrivez, la laïcité ne relève pas des « politiques restrictives » mais de la liberté de conscience. Elle n’est pas davantage une restriction qui ciblerait « principalement les musulmans et davantage encore les femmes » puisque toutes les tenues et tous les signes religieux sont bannis de la sphère étatique ; en outre, nous avons affaire dans le périmètre scolaire à des enseignantes majeures, mais aussi à des élèves mineures, ce que ne laisse pas paraître le mot « femmes » que vous utilisez d’une manière simpliste et trompeuse, au point d’embrayer dans la phrase suivante sur la burqa interdite en Suisse, pour le coup à toutes les femmes dans la rue : sortiriez-vous du sujet de la laïcité que vous prétendez traiter ?
Enfin, la « neutralité de l’État » anglo-saxonne vous paraît désirable car compatible avec un étalage religieux sans modération. Il faudrait rappeler qu’il s’agissait, pour les fondateurs des États-Unis, de protéger leur vie et leurs droits religieux bafoués dans les vieux États européens qui ne connaissaient pas la liberté de pratiquer un culte autre que celui de l’État (en ce temps, pas de séparation), de ne pas croire ou de changer de religion. En France, si l’État est neutre c’est au sens où les croyances des uns et des autres ne le regardent pas et ne s’imposent pas non plus à lui : l’État chez lui, la religion chez elle, comme disait Victor Hugo. Séparation ! Le mot qui définit la loi de 1905 et que vous ne nommez pas.
Le hijab n’est pas l’alpha et l’oméga de l’Islam
La suite de votre article est une ode aux Foulards violets, dont la mobilisation vous semble d’autant plus nécessaire que l’application des lois laïques vous paraît « controversée, voire dangereuse ». Mon dieu, le danger de pratiquer sa foi revient en Europe, comme avant la laïcité ? Les femmes voilées – que vous identifiez sans discussion à l’islam – « font face à des discriminations, certaines allant même jusqu’à ôter leur hijab », écrivez-vous, en parlant plus bas de « foulard ». Depuis un moment, on ne sait plus de quoi vous parlez : de l’école, du travail salarié privé, du périmètre public de l’État, de la sphère sociale de la rue ?
La laïcité préserve la vraie diversité culturelle et religieuse
C’est votre droit de tout mélanger mais alors vous ne pouvez pas faire semblant, en même temps, comme dirait le président Macron, que vous parlez de la laïcité. Vous parlez, en réalité, d’une tendance bien plus large de nos sociétés à considérer le « foulard » comme autre chose qu’un joyeux tissu coloré, qui protège du vent et ravive une tenue. Mais n’est-ce pas parce que les porteuses de cet attribut lui confèrent elles-mêmes des pouvoirs religieux et communautaires d’une réalité telle qu’elle s’oppose à toute réglementation extra-religieuse et véritablement diversitaire, par exemple une réglementation relative à la sécurité au travail, à la neutralité face à une clientèle privée, à la neutralité face aux usagers du service public, à la modération de l’exubérance religieuse dans un collectif très diversifié sur le plan des consciences et rassemblé sur un pied d’égalité (toutes croyances et non croyances confondues) autour d’une tâche, d’un labeur, d’une mission extra-religieuses ?
Un article fermé à la discussion
Votre article se termine logiquement sur les mots qui tuent : islamophobie, misogynie et racisme, le combo ! Ces mots ferment la porte à toutes les interrogations, par exemple celle-ci : la « liberté de conscience » que vous croyez défendre n’est-elle pas heurtée, précisément, par l’imposition de la réalité du voile à tous les employeurs publics et privés, tous les clients, tous les publics, tous les élèves ? Ou encore, la « diversité culturelle et religieuse » que vous croyez défendre n’est-elle pas heurtée, précisément, par cet étalage public se voulant omniprésent au nom de la liberté intégrale d’une seule religion, qui plus est dans son acception voilée qui n’est pas l’entier de l’Islam ?
Et enfin, « l’autodétermination des femmes musulmanes » est-elle bien défendue quand on songe que le voile porté de plus en plus insolemment, en Europe et ailleurs, est utilisé comme argument voiliste autoritaire par des patriarches et autres gardiennes de la révolution islamiste ? Et enfin : pourquoi focaliser sur l’autodétermination des femmes sans mentionner celle des hommes quand on veut véritablement prôner la liberté contre la répression ? Votre titre posait la question de la laïcité comme instrument de répression, je vous le retourne donc : « Le voile, un outil de répression ? »
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