Vous aimez picoler, manger gras et tirer sur des Havanes ? Faites gaffe à vous, mais par pitié ayez l’élégance de mettre le paquet en janvier.
Chers amis, Chers camarades,
J’ai été un peu frappé par les réactions à mon dernier post de l’an dernier, pour ne rien vous cacher. Je voulais essentiellement vous y faire part de mes espoirs pour 2023 et remercier tous ceux qui m’avaient soutenu mais plusieurs d’entre vous ont cru y trouver un résumé de mes déboires d’entrepreneur. Je sais que j’ai parfois tendance à m’exprimer d’une façon alambiquée et je mets donc la faute sur moi. Je tiens néanmoins à vous l’assurer : vous me retrouvez à bloc, rempli de gratitude, d’énergie et de confiance. Nous allons y arriver et je vous prépare d’ailleurs une chouette surprise pour rendre la consultation de mon journal sur le Web plus agréable et moderne. Je me réjouis de vous présenter ça ces prochaines semaines.
Une chose, en revanche, qui ne me remplit pas de gratitude, à chaque début d’année, ce sont ces « défis » qui visent à nous transformer en abstinents, en vegans et en citoyens éco-responsables. Depuis quelques jours, je suis en effet assailli par ces appels à participer au « Dry January », ou « janvier sobre ». Pour ceux qui fréquentent peu les rivages désolés des réseaux sociaux, cette campagne de santé publique consiste à inciter le bon peuple à ne rien boire durant le premier mois de l’année pour contrer les excès des Fêtes. Alors je préfère poser le cadre directement : je déteste l’autodestruction et ce n’est pas moi qui vais vous inviter à sombrer dans l’alcoolisme pour contrer cet « hygiénisme fun ». Je ne sais pas si je vous l’ai déjà dit, mais j’ai travaillé quelques années comme chargé de communication pour la Police municipale de Lausanne, en Suisse, et j’ai parfois eu l’occasion de voir les ravages que cause la picole, particulièrement au niveau des familles. La question qui m’habite, néanmoins, est la suivante : est-ce que réellement j’ai besoin que l’on me présente les choses comme un « défi » pour que j’aie besoin de prendre soin de moi et de mes proches ?
Cette grande entreprise de conditionnement « cool » m’agace d’autant plus que nous y avons aussi droit pour devenir vegans ou participer à un mois « zero waste », donc sans déchet, toujours en janvier. Un post de 20 minutes sponsorisé par la marque de mayonnaise THOMY (propriété des écologistes de Nestlé), me propose même de transformer mon « Veganuary » en « VeGAGNEuary » grâce à un concours quelconque. 2023 démarre fort ! Et tout cela, bien entendu, en attendant le mois où il faudra porter du rose pour sensibiliser nos amis au cancer du sein, nous laisser pousser une moustache pour la prostate ou mettre au balcon le drapeau de la dernière nation martyr du monde, une fois que la situation sera réglée en Ukraine.
Un christianisme aseptisé
Je parlais de ma détestation cordiale de ces différentes entreprises de conditionnement au petit-déjeuner ce matin et mon fils aîné a eu une sacrée fulgurance : « Tu vas parler du carême, alors, dans ta newsletter ? ». Il a neuf ans, ce qui vous laisse un peu imaginer comment ce gamin va me pousser dans mes retranchements une fois ado. Parce qu’il faut bien le dire, l’objection est largement fondée. Comme chrétien, ne suis-je pas moi-même soumis à une vaste entreprise de conditionnement quand je jeûne tel ou tel jour ou quand je « fais maigre » au printemps en souvenir du séjour de mon Sauveur au désert ?
Une bonne réponse à cette question se trouve chez le philosophe Gustave Thibon. Il écrit dans L’Échelle de Jacob que « l’homme n’échappe à l’autorité des choses d’en haut qui le nourrissent que pour choir dans la tyrannie des choses qui le dévorent. » Vous pouvez certainement me rétorquer qu’il n’y a rien qui « dévore » l’homme dans une tentative de devenir un peu plus responsable l’espace d’un mois et vous aurez raison. Ce qui nous dévore, en réalité, c’est ce que Thibon appelle « la communion horizontale ». A savoir ce besoin de suivre des règles ensemble, non pas pour nous élever vers Dieu (ou vers une valeur qui nous dépasse chez ceux qui ne sont pas chrétiens), mais pour nous convaincre que nous appartenons au groupe des gens bien. Croyant œuvrer pour le bien, nous nous auto-célébrons.
Le dernier aspect que je veux souligner, c’est que ces divers défis, in fine, ne peuvent pas être compris en faisant abstraction de la vaste ingénierie des comportements qui se met en place sous nos yeux. Bien sûr que c’est sympa, certainement, de croiser dans la rue un bonhomme dont on peut imaginer qu’il porte une moustache parce qu’il fait le même défi que soi. Sans doute que ça doit être agréable, aussi, de gagner un pack d’essai de produits vegans de chez THOMY.Mais ne comprenez-vous pas que c’est le versant fun de l’interdiction générale d’avoir une pensée à soi sur des sujets plus graves ?
Refuser le conformisme
Cette citation de Bernanos est archi-connue, mais comment ne pas y songer :« On ne comprend absolument rien à la civilisation moderne si l’on n’admet pas d’abord qu’elle est une conspiration contre toute forme de vie intérieure ». C’est dans La France contre les robots, un livre essentiel. Un livre encore plus essentiel, qui s’appelle la Bible, voit le Fils de Dieu nous appeler à « ne pas nous conformer à ce siècle ». Notez bien, il ne dit pas « sauf si c’est sympatoche » ou « sauf s’il y a de la mayonnaise vegan à gagner ».
Nous avons été conçus pour la liberté. Si nous devons respecter des règles collectives, comme décident de le faire ceux qui entrent en religion, que ce soient des règles qui fondent une civilisation, qui produisent de la beauté et un art de vivre. Passer d’un conditionnement à un autre en ayant l’impression d’être à la pointe du progrès de l’espèce humaine relève au contraire d’une naïveté indigne de la grandeur à laquelle nous sommes appelés.
Que Dieu nous garde,
Raphaël Pomey
P.S. Merci à David, à mon ami romancier Lucien Vuille ainsi qu’à mon épouse April pour leurs suggestions.
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