Une heure passée en compagnie d’un bouquin qui a 500 ans vaut bien toutes les séries gores du monde. Dahmer vs La Boétie : le combat que personne n’attendait.
Chers amis, Chers camarades,
Tout d’abord, je voudrais saluer les nouveaux arrivants sur cette infolettre. La plupart sont venus depuis la pétition que j’ai lancée pour stopper le délire du Conseil de l’Europe qui songe à nous demander de ne plus envoyer les enfants dans leur chambre pour se calmer. Alors vous l’avez peut-être vu, un premier rétropédalage a déjà eu lieu, sans doute devant la levée de boucliers. Mais on ne lâche pas la pression : des associations sont réellement déterminées à s’introduire dans nos foyers et nous dire comment élever nos enfants : si vous n’avez pas encore signé, c’est ici.
Cela étant dit, passons au sujet du jour. J’imagine que bon nombre d’entre vous possèdent un abonnement Netflix. Personne n’est parfait : c’est aussi mon cas, quoi que je n’ai jamais rien fait pour obtenir le précieux sésame. J’ai une belle-famille, voyez-vous. Mais enfin si tel est le cas, il ne vous aura pas échappé que le gros succès du moment est une série bien malsaine qui nous invite, sous couvert de dénonciation du racisme systémique, à contempler l’œuvre d’un détraqué qui découpait des Afro-américains et des Latinos en cubes, leur injectait des lotions plus ou moins agréables dans le crâne quand il ne leur bouffait pas le coeur. Je veux ici parler de Dahmer. Un programme évidemment tiré de faits réels, comme une large partie des daubes dont l’Empire nous gave pour nous rééduquer.
Aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours trouvé assez suspecte la fascination pour les tueurs en série, au même titre que le culte des grills compliqués ou la consommation de cigarettes électroniques. Sans doute parce que je reste marqué par un vieux fond marxiste, j’ai tendance à penser que ce type d’intérêts détournent de la saine brutalité du matérialisme dialectique qui, aujourd’hui et en tout lieu, demeure à mes yeux la grille d’analyse la plus féconde pour comprendre l’évolution de nos sociétés. Un peu moins, malheureusement, pour construire le paradis sur terre, comme continuent de le démontrer jour après jours la Corée du Nord, Cuba et la conseillère nationale suisse Léonore Porchet.
« Jouer le jeu », encore et toujours
Mon désintérêt pour la psychologie, dont témoigne ce refus de m’intéresser à l’œuvre de Jeffrey Dahmer, a pourtant ses limites. Cette semaine, j’ai par exemple été très frappé de découvrir, comme vous sans doute, que 68% des Français demandaient des sanctions contre ceux qui ne « jouent pas le jeu de la sobriété », selon un sondage diffusé par BFM TV. Traduisez : deux tiers de collabos dans la population exigent que les flics interviennent contre leurs voisins si, non contents d’avoir laissé leurs gamins jouer au ballon durant la pandémie, ces derniers s’autorisent désormais à chauffer leur appartement à plus de 19 degrés. « La crise économique, c’est fantastique ! La décadence, c’est la bonne ambiance ! », comme le chantaient Les Civils en 1981.
Pour la bonne bouche, on précisera tout de même que l’étude a été commandée par Rothelec, société qui a peut-être quelque intérêt à foutre la trouille aux gens dans la mesure où elle vend des chauffages connectés. Cela n’explique tout de même pas comment une volonté si farouche d’être esclaves s’est emparée de nos semblables. Mon hypothèse, que je développerai par la suite, est qu’elle naît du désert intellectuel laissé par le mépris des classiques.
J’ai déjà eu l’occasion de vous dire ce que je pensais de cette expression, « jouer le jeu », dans une infolettre (où l’on découvrait d’ailleurs que j’ai moi aussi regardé une série dans ma vie) : pour moi, la métaphore ludique sert à faire gober le mélange de nullité et d’arrivisme des dirigeants qui l’emploient. Si, aujourd’hui, je me considère souvent comme un homme de droite, ce n’est pas à cause de mon goût de l’ordre (carrière militaire avortée), de mon conservatisme en matière de mœurs (il se trouve que j’ai aussi une chambre à coucher) ou des bagnoles (je n’aime pas ça), mais simplement parce que j’aime farouchement ma liberté. Or, pour mieux comprendre les différents phénomènes dont je vous parle ici, de l’intrusion des experts dans l’éducation de nos enfants à la demande de sanction pour chauffage excessif, je crois que j’ai trouvé le livre parfait : La Boétie, et son « discours de la servitude volontaire », qui nous livre des punchlines toutes bêtes comme « Soyez résolus à ne plus servir, et vous voilà libres », sur lesquelles on peut construire une vie.
Cessez de vouloir obéir
Révolutionnant le regard que nous devons porter sur l’autorité politique, l’auteur explique que ce n’est pas la méchanceté des tyrans, mais plutôt l’habitude de la population à vivre sous le joug qui les conduit des pouvoirs despotiques à se maintenir en place, voire à grossir tels des tumeurs. « La nature de l’homme est d’être libre et de vouloir l’être, mais il prend facilement un autre pli lorsque l’éducation le lui donne », écrit l’auteur. Élevés comme des poules dans un carton, nous ignorons qu’il existe un monde extérieur dans lequel nous pourrions gambader, profiter du soleil et joyeusement envoyer paître nos bons maîtres lorsqu’ils nous expliquent que notre emprisonnement à 19 degrés maximum est rationnel, équitable et profitable au bien commun. C’est à nous mettre ce goût de l’esclavage dans le crâne, à la manière de Dahmer avec ses victimes, que sert Netflix : s’appuyer sur notre voyeurisme pour nous pousser à l’indignation contre des enjeux qui ne nous regardent pas – le racisme de la police de Milwaukee, par exemple, dans le cas de la série– tandis que la post-démocratie se met paisiblement en place sous nos yeux avec son cortège de règles infantilisantes.
Stéphane Hessel était une baudruche
Si vous me permettez de poursuivre le parallèle entre la lecture de La Boétie et la série du moment, il y a un autre aspect que j’aimerais à présent aborder. Amoureux des Lettres, comme on dit dans les médias féminins, j’ai étudié le latin et le grec. Je n’en sais absolument plus rien, évidemment, mais j’en ai gardé un intérêt marqué pour la culture antique. Or ce qui me frappe, lorsqu’on lit Machiavel ou La Boétie, mais on pourrait aussi évoquer ici les discours de Robespierre, c’est que ces auteurs trouvent systématiquement leurs exemples dans la vie des empereurs, des grands philosophes et des personnages de légende dont ils se sentaient redevables.
De qui nous sentirons-nous redevables après la consommation d’un programme mettant en scène une succession de massacres plus ou moins assortis de scènes de copulation dans un deux-pièces moisi où L’exorciste III tourne en boucle ? « Même les bœufs, sous le joug, geignent, et les oiseaux, en cage se plaignent », rappelle La Boétie. Nous, au contraire, nous nous indignons, voilà tout. Et ce, depuis la parution d’un minuscule traité indigent qui nous expliquait que l’état d’Israël était vraiment très méchant parce qu’il refusait de se laisser anihilier. Je veux parler de l’infâme « Indignez-vous ! ». On ne mesurera jamais à quel point Stéphane Hessel a constitué la matrice de tous les modèles de baudruches depuis dix ans.
Je n’ai jamais aimé l’autorité, d’où qu’elle vienne. Enfant d’une région où le centre-droit régnait en maître, je méprisais les beaufs obèses qui se présentaient comme « dynamiques » et « combatifs » lorsqu’ils se présentaient aux élections. Plus tard, des gens venus d’un autre continent sont venus expliquer aux dirigeants de mon pays que nous avions été très méchants durant la deuxième guerre, et j’ai aussi méprisé ces donneurs de leçons qui vivaient richement sur le souvenir de leurs frères assassinés cinquante ans plus tôt. Aujourd’hui, les tyrans parlent encore de « bien public » et de « soulagement des malheureux », comme du temps de La Boétie, mais aussi de la sacro-sainte sobriété. Je crois que vous avez compris ce que je pense d’eux.
Il nous faudra être sobres, donc, et très abrutis. Ne trouvez-vous tout de même pas un peu inquiétant comment des pouvoirs plus ou moins démocratiques vous dictent bientôt tous vos choix ? Comment chauffer l’appartement, élever (ou non) vos gamins, boycotter le foot à la télé, manger des légumes au lieu d’entrecôtes, ne pas fêter Noël, j’en passe et des meilleurs. Moi, ça me terrifie, et c’est pourquoi je trouve les livres anciens d’un précieux secours. Il paraît que « la vérité vous rendra libre », selon la Bible. C’est sans doute vrai, mais je crois que les vieux livres nous permettront d’y accéder. Parce que vous dormirez mieux après les avoir lus, parce que vous serez vaccinés contre toute nouvelle dose de despotisme.
Et parce que La Boétie, qui envoie tous les puissants de son époque sur les roses, est un bonhomme en compagnie de qui on passe une heure plus agréable qu’avec un tueur en série dégénéré.
Que Dieu nous garde,
Raphaël Pomey
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