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Je suis chrétien et anarchiste de droite, j’ai un Dieu, mais pas de maître. Journaliste, à la tête du magazine Le Peuple, je m’exprime sur cette newsletter à titre personnel, avec ma casquette de philosophe et de passionné de littérature. Vous allez peut-être tomber de votre tabouret, si vous venez ici pour la première fois, mais je respecterai vos désaccords, car j’aime avant tout le débat. J’aime aussi la bonne humeur, la bière, la viande rouge et le squat à la barre fixe, mais sous la parallèle.

Il y a des magasins de cigarettes électroniques en enfer

Itay Kabalo/Unsplash
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Chers amis, chers camarades,

Il faut que je vous donne un peu des nouvelles de mon nihilisme, si vous permettez. Hier, en traversant le patelin où j’ai grandi, cette étrange disposition de ma nature de boy scout s’est rappelée à mon bon souvenir tandis que je traversais la Grand-Rue en bagnole. Comme on y roule à 40 km/h, j’ai eu tout loisir d’admirer la façade d’un magasin de cigarettes électroniques au logo de chien-loup, un peu comme sur les T-shirts à la gloire de Johnny, à la grande époque.

Un animal sauvage, le fantasme du grand nord, le rêve d’une vie aventureuse… Tout ça pour vendre des arômes banane-fraise à des beaufs en pantacourts ! La Grand-Rue n’est pas bien grande, contrairement à mes souvenirs de gosse, mais je sais que quand je suis arrivé à la hauteur de la Coop à l’étage de laquelle je dormais sous un poster de Rox et Rouky, je me faisais déjà la réflexion qu’il n’y a rien à faire : je reste fondamentalement pas mal ennemi du genre humain. 

Tout doit finir en farce.

L’avantage, avec ce genre de sentiments, c’est qu’ils passent assez vite. Enfin, en principe. Parce que dans le cas présent, à peine après avoir digéré cette vision, je me suis rappelé qu’à Yverdon même, un autre magasin du genre nous balance un Indien genre Géronimo sur sa façade au centre commercial où les ados en training viennent s’enquiller les burgers de McDo. Il faut quand même se faire le tableau : déjà gentiment génocidés par les futurs gendarmes du monde, voilà que les amérindiens se retrouvent aujourd’hui réduits à l’état de logo pour magasin de liquides à fumer. Pour comprendre l’imagerie, j’imagine que les vendeurs de la boutique se proposent de nous ouvrir des nouveaux horizons gustatifs, pionniers qu’ils sont du monde nouveau. A l’évidence, en tout cas, il y a un trend, et quelque chose de vaguement rebelle dans l’idée de s’empoisonner avec des clopes électroniques au lieu d’aller chercher son cancer à l’ancienne avec de vrais clopes. Personnellement, je préférais l’époque où on mourrait sans sacrifier l’esthétique.

Ramuz et les lapins en chocolat de la RTS


Je vais vous dire la vérité : ce n’est pas super facile pour moi de risquer de plonger dans des abîmes de noirceur pour des choses aussi futiles. Sans doute que c’est plus facile de se complaire dans la posture des lapins en chocolat que la RTS m’a récemment envoyé sur la gueule à Forum pour expliquer au monde que la cérémonie des JO est le plus grand spectacle vivant de l’histoire de l’humanité (authentique !) et que j’étais un inquisiteur si je pensais l’inverse. Il n’y a pas beaucoup de place, dans notre monde, pour des gens comme moi dont l’extrême sensibilité le dispute à un certain pessimisme. Mon grand tort, souvent, est d’essayer de me faire comprendre, ou – comme disent les psychologues scolaires – de vouloir « ouvrir mon cœur ». Nous sommes « posés les uns à côté des autres », comme disait Ramuz, et bien incapables de communiquer. Alors bien fou qui penserait pouvoir discuter 1) avec des garants de l’ordre nouveau 2) à propos de sentiments contraires au festivisme autoritaire. 

Quand je suis rentré chez moi, ma femme avait laissé sur la table de la cuisine un magazine de Concordia, qui doit être l’assurance qui me suce le sang cette année. Je ne gère pas cet aspect de notre servitude, mais si j’ai bien compris il me semble que l’on doit changer d’assurance chaque année quand on est classe moyenne comme nous. Bref, ledit magazine nous montre sur sa couverture la photo de deux mecs, sans doute pères et fils, assis sur des gros cailloux en train de parler de trucs que j’imagine hyper profonds, du type « quelle assurance va me baiser l’an prochain ». Ils ont le style vaguement aventureux, jeans proprets et boots usées parce que quand même, on est responsables mais on reste des hommes à part entière. Pas question de porter des tongs de lopettes. Et le daron écoute le plus jeune, l’air serein mais usé par une vie passée à tester des cigarettes électroniques. La légende nous explique en tout cas qu’il s’agit d’« apprendre à trancher », et nous parle de « nos choix et décisions ». Propos complété par l’édito d’un membre du comité directeur deux pages plus loin, cravate et moustache. 

« Comment optimiser son assurance-maladie »…

Il y a dans chaque adulte un gamin qui se demande à quel moment ça a mal tourné, il paraît. Peut-être que ça commence à mal tourner quand on se dit, finalement, que c’est un programme pas si désagréable d’aller faire de l’accrobranche avec les gamins, de bosser pour une assurance ou pour le service public, et de fumer des cigarettes électroniques.

Oui voilà, sans doute qu’une destinée humaine est terminée quand on commence à trouver pas mal un arôme fraise-banane et à considérer, comme moi, l’éventualité de vacances à Center Parcs.

Que Dieu nous garde,
Raphaël


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