Et Nemo nous y mène comme Charon sur le Styx.
Ce soir, ma femme et moi sommes invités au spectacle de fin d’année scolaire d’un de nos gosses, qui sera suivi d’une « collation ». C’est fort sympathique et l’on se réjouit d’entendre ces gamins, qui menacent de s’égorger à la récré, chanter à propos de lapins en chocolat et de soupe aux épinards. Le terme « collation », en revanche, nous fait un peu peur. Déjà parce qu’on imagine qu’il n’y aura pas d’alcool, ce qui aiderait tout de même à faire passer les chansons sur les lapins en chocolat et la soupe aux épinards, et parce qu’il indique une tendance un peu crispante : faire retourner les parents eux-mêmes en enfance dès lors que madame a pondu des rejetons en âge d’apprendre l’amitié entre les peuples au sein de l’éducation publique.
Parce qu’ils se rendent à l’école, il faut que les géniteurs courbent l’échine et acceptent qu’ici, c’est la maîtresse qui fait la loi. Les parents modernes, du reste, se plient de bonne grâce à la règle et il n’est pas rare d’entendre un quadra, tatouage tribal sur ce qu’il reste de son biceps et bide bien en avant, nous raconter extatique qu’il est le « papa » de Yovan, Liam ou Gaïa. Même à la maison, je ressens une gêne quand j’entends ma femme me parler de la « maman » de tel ou tel gamin, généralement inquiète parce que son merdeux a fait l’apologie de l’État Islamique dans le bus scolaire.
Rester fidèle à sa nature
En discutant de tout cela en buvant le café, ce matin, j’ai dit à madame qu’il fallait tout de même faire gaffe à ne pas devenir trop rances. Pour un choix de mot plus ou moins régressif, sans doute ne faut-il pas se mettre à mépriser le monde entier et à fuir tous les cadres où se développe l’esprit d’enfance. L’idée de rester fidèle à celui que je fus plus jeune, d’ailleurs, n’est pas pour me déplaire. Insupportable, poil à gratter, toujours la gueule ouverte à treize ans, je me félicite de n’avoir guère changé de ce point de vue. Ma voisine de pupitre Luisa – qui devait nécessairement virer à gauche et décroissante par la suite – pourra vous en toucher un mot.
Petite pause dans mon texte pour vous inviter à soutenir mon travail avec un abonnement au Peuple ou avec un don. Merci.
Peut-être que mon rapport à l’enfance n’est simplement pas guéri. Le sentiment que le meilleur est derrière nous, et jamais devant, fonde en tout cas de manière certaine une pensée que l’on peut définir comme « réactionnaire » en ce qu’elle est hantée par l’idée d’un paradis perdu. « Nous sommes tous des rois en exil », a écrit Chesterton et c’est une des profondes vérités de mon existence, en tout cas. De la même manière que je crois, avec Aragon, qu’il n’y a pas d’amour heureux alors que je vais bientôt fêter mes quinze ans de mariage.
Pronom personnel neutre
Mais je sais que vous êtes venus ici pour avoir du sang. Alors vu que je fais un mois sinistre au niveau des abonnements et des dons, je vais vous en donner. Je crois que Nemo est l’apôtre d’un esprit d’enfance qui n’a plus rien à voir avec celui que j’ai aimé sous la plume d’un Bernanos, par exemple. Lisons ensemble le récit, chez Blick, de sa rencontre avec le conseiller fédéral Beat Jans : « Nemo a montré qu’iel (ndlr: pronom personnel neutre) comprenait que (la reconnaissance légale des personnes non-binaires) prendrait un certain temps. En même temps, Nemo a annoncé vouloir aborder lors de la rencontre avec le Conseil fédéral des choses qui pourraient être mises en œuvre plus rapidement. Par exemple, l’amélioration de la sécurité et la visibilisation des personnes non-binaires et trans. » On attend déjà les prochains épisodes : du genre « Nemo prépare des lapins au chocolat », « iel (ndlr : pronom personnel neutre) cuisine une soupe aux épinards » ou « notre guide bien aimé se passionne se forme aux cocktails sans alcool ». Avec son joli pull d’écolier qui aurait pu être porté sous Giscard et son sourire de gentil garçon, iel (ndlr : pronom personnel neutre) a en tout cas la gueule de l’emploi pour devenir le visage d’une série de bandes dessinées destinées à rééduquer les mioches. Nul doute que l’effroyable Zep sautera bien vite sur l’occasion.
Les fillettes de mon enfance avaient des Martine, nos gamins auront des Nemo. Reste que quand j’étais gosse, Martine avait le bon goût de délaisser la politique. À l’époque, se prétendre opportunément opprimé ne permettait pas encore de gagner des concours et de rencontrer des ministres.
La révolte était encore possible.
L’esprit d’enfance, le vrai, sans doute un peu aussi.
Comments are closed.